Chiara Skerath (Ilione), Tassis Christoyannis (Idoménée) et Samuel Boden (Idamante)
Pour réduire l’Idoménée de Campra à la moitié de sa durée, Emmanuelle Haïm et Àlex Ollé ont cherché à en extraire l’essentiel, c'est-à-dire les drames individuels des protagonistes qui font le cœur du livret de Danchet ; particulièrement celui du rôle-titre, lié par un serment fatal, fait à Neptune, le dieu qui l'a protégé du naufrage, auquel il ne pourra finalement échapper. Ce faisant, ils en ont également un peu oblitéré les attendus dramaturgiques en supprimant la présence et le rôle actif des autres divinités, notamment de Vénus, principale antagoniste du roi de Crète et dont la haine causera sa fin. Privée de scènes de liaison et des divertissements qui sont la marque spécifique de la tragédie lyrique, leur adaptation gauchit la nature de l'œuvre et fait un peu figure d'anthologie. Centrée sur les situations les plus archétypiques et les plus attendues, elle ne surprend que dans la scène finale où, dans un accès de folie suscité par Neptune, le roi finit par sacrifier son propre fils sans en avoir conscience, échappant alors au schéma du « lieto fine », connu à travers l'adaptation de Varesco pour Mozart.
La mise en scène d’Àlex Ollé relève plutôt de la mise en espace et se base sur une scénographie simplifiée et des costumes typiques de la neutralité chère au Regietheater, costumes de ville pour les messieurs et robes noires pour les dames. Elle se joue à l’avant-scène dans un espace délimité autour d’un long proscenium, tour à tour catafalque, grève, autel du sacrifice ou table de banquet, auquel s’ajoutent quelques accessoires et de petites chaises sur lesquelles prennent place les choristes, tel le chœur antique, témoin et commentateur de l'action. Si leurs interventions restent très limitées, elles comprennent tout de même une esquisse de chorégraphie sur fond de tambourin pour fêter l’heureux retour du roi disparu, très réussie. Les vidéos d’Emmanuel Carlier ont le mérite de ne pas être trop envahissantes. Se limitant à quelques touches illustratives, elles apportent à cet univers minimaliste entièrement en noir et blanc un supplément de mouvement et de profondeur. Finalement, le spectacle repose surtout sur le jeu d’acteurs, dans un registre assez expressionniste renforcé par la prédominance du récitatif et de l'arioso sur les numéros musicaux. Tassis Christoyannis se coule avec évidence dans son rôle de roi autoritaire et tourmenté qui lui va comme un gant. Samuel Boden offre à Idamante sa voix claire et brillante de haute-contre parfaitement idiomatique et une sensibilité sans mièvrerie. À Ilione, Chiara Skerath donne la stature d'une jeune femme forte et engagée bien moins fragile que l'héroïne mozartienne, tandis que l'Electre vindicative d'Hélène Carpentier s'impose avec beaucoup d'autorité malgré un rôle très écourté. Tous, y compris les personnages secondaires, se révèlent aussi convaincants sur le plan vocal que dans leur incarnation scénique. Placé en fond de scène pour éviter la promiscuité de la fosse, le Concert d'Astrée donne le meilleur de lui-même dans cette musique qui lui est proprement congénitale, sous la direction énergique d'Emmanuelle Haïm.
Ce spectacle d'attente ou plutôt de remplacement, avec toutes les limites que lui imposent les mesures sanitaires, tant dans son format que dans sa conception scénique, réussit tout de même le pari de faire exister l'opéra de Campra dont on devine en creux les potentialités. L'on espère vivement que les conditions sanitaires permettront enfin de le découvrir dans son intégralité avec d'aussi bons interprètes, comme le promet l'Opéra de Lille pour sa saison 2021-2022.
Alfred Caron
Tassis Christoyannis (Idoménée)
Photos : Simon Gosselin