CD Opera Rara ORC49. Distr. Abeille Musique.
Après Imelda de' Lambertazzi, Il diluvio universale, Gabriella di Vergy, Francesca di Foix, Emilia di Liverpool, Elvida, Dom Sébastien, Caterina Cornaro, ou encore actuellement Rita, Opera Rara poursuit son exploration de l'œuvre donizettien, et son travail d'édition remarquable - cette fois encore, le coffret est riche du livret et de sa traduction, et d'un précieux commentaire scientifique de Jeremy Commons.
Composé sur un livret de Salvatore Cammarano (son premier !) d'après une pièce d'Eduard von Schenk adaptée par Luigi Marchionni, Belisario fut créé à La Fenice de Venise en février 1836. Le sujet est à la fois grandiose et tourmenté : à l'issue de son triomphe devant l'empereur Giustiniano, le général Belisario est arrêté sur la dénonciation de son épouse Antonina qui le croit coupable d'avoir fait jadis assassiner leur fils disparu. A l'aide de faux, le traître Eutropio ajoute une accusation de complot contre l'empereur. Belisario est condamné à l'exil, mais Eutropio lui fait en outre crever les yeux. Irène, la fille de Belisario, abandonne tout pour servir de guide à son père - on songe à Edgar et Gloucester du Roi Lear... Un fidèle de Belisario, Alamiro, veut lever une armée de Barbares contre le pouvoir grec ; il croise la route du général - coup de théâtre : il s'avère être son fils, finalement sauf et devenu adulte. Dans son camp militaire, Giustiniano reçoit la visite d'Antonina, chargée de remords. Belisario, qui a tenté de repousser l'assaut des Barbares, est amené, agonisant, et meurt sous les yeux de son épouse.
On pourrait rêver baryton plus imposant que Nicola Alaimo pour le rôle-titre ; mais son chant bien tenu s'accorde au ténor stylé de Russell Thomas (Alamiro) et rend justice à leur duo du I - un serment d'amis de combattre ensemble jusqu'à la mort, ancêtre d'autres modèles fameux ! Il compense par l'émotion subtile la part hallucinée de son grand récit « Sognai... fra genti... ». Bien casté, l'autre ténor (le traître Eutropio) s'en distingue par un timbre plus appuyé, ici approprié. Antonina est un grand rôle de prima donna - tessiture longue, dramatisme et brillant mêlés, qui avaient attiré Leyla Gencer en 1969 à Venise. Joyce El-Khoury assume la tonicité féroce de ce personnage pris entre trahison et remords, un rien tendue dans le haut-medium pourtant, mais le portrait vocal est complet, jusqu'à une scène finale qui entre dans la famille des scènes de folie. Tendre et profonde Irene de Camilla Roberts.
Pourtant, l'ensemble excite plus l'intérêt que la flamme. Car comme souvent chez Opera Rara, si on est frappé du soin apporté à la réalisation et de l'homogénéité des artistes assemblés - y compris chœurs et orchestre, impeccables sous une direction précise et respectueuse de la lettre -, ce travail de studio reste retenu, et peine à convaincre des qualités dramatiques, certes épisodiques mais réelles, de la partition ou de ses personnages. On salue néanmoins l'entreprise, de haute qualité, et qui offre une version de référence, car sans accroc ni élision, de l'ouvrage.
C.C.