Anicio Zorzi Giustiniani (Boemondo), Laura Polverelli (Tebaldo), Raúl Baglietto (Ermanno), Gheorghe Vlad (Geroldo), Sandra Pastrana (Isolina), Annalisa D'Agosto (Clemenza). Chœur de chambre Bach de Poznań, Virtuosi Brunensis, dir. Antonino Fogliani (live Bad Wildbad, 2014).
Naxos 8.660471-72. Notice en anglais et en allemand. Distr. Outhere.
La postérité n’a retenu le nom de Francesco Morlacchi (1784-1841) qu'à travers son Barbier de Séville, composé la même année que celui de Rossini sur le livret original de Petrosellini pour Paisiello, et qui a eu les honneurs d'une résurrection et d'un enregistrement réalisé par Bongiovanni en 1989. C’est un peu injuste pour ce compositeur, né et formé en Italie mais ayant fait l’essentiel de sa carrière à l'Opéra de Dresde comme directeur musical à vie de 1811 à 1841 et dont la vingtaine d'opéras connut de nombreux succès, parmi lesquels Tebaldo e Isolina, melodramma eroico, créé à la Fenice de Venise en 1822 et révisé pour Dresde en 1824 avec le sous-titre de melodramma romantico, figure, à juste titre, comme sa plus grande réussite.
Le livret de Gaetano Rossi rappelle en plus complexe l'histoire de Roméo et Juliette et met en scène les amours impossibles des rejetons de deux familles ennemies, mais à l'inverse de celle des amants de Vérone, elle se termine sur une réconciliation et formellement sur un finale en forme de vaudeville. Si la dramaturgie fait la part belle aux situations stéréotypées du vieil opéra séria, la partition se révèle toujours d’une grande originalité dans la façon de les traiter, avec une invention mélodique très personnelle et un sens aigu de la caractérisation, une construction qui exclut toute routine et une orchestration très élaborée qui les sauve de la banalité. Le grand air d'Isolina à l'acte II avec violoncelle obligé en est un bel exemple. De fait, à l'instar de Rossini dont Morlacchi paraît parfois être l'émule, la plupart des numéros de la partition, même lorsqu'il s'agit d'airs tripartites, sont conçus comme de véritables tableaux. De Venise à Dresde, Morlacchi a révisé sa partition et l'a resserrée en supprimant les airs des personnages secondaires et en réduisant au minimum les plages de récitatifs secs. Deux scènes se détachent singulièrement d'un ensemble très réussi, surtout au premier acte dont la progression dramatique se révèle quasiment sans faiblesse et qui paraît avoir été conçu sans rupture : ce sont les deux scènes du roi Boemondo, celle de ses retrouvailles avec son fils Tebaldo où l'arioso et l'accompagnato donnent beaucoup de vérité à la situation, et la longue scène héroïque avec chœur du deuxième acte, plus disparate mais d'une grande richesse expressive.
Enregistrée en concert sur deux soirées au Festival Rossini in Wildbad 2014, cette version rend pleinement justice à l'invention musicale et à l’originalité de la partition grâce à la direction vivante et engagée d'Antonino Fogliani, à la tête d'un excellent orchestre et de très bons chœurs. Mis à part la basse un rien poussive et au phrasé sans noblesse de Raúl Baglietto dans le rôle de roi Ermanno, qui reste assez épisodique, la distribution se montre à la hauteur de rôles très exigeants avec une mention particulière pour le Boemondo du jeune ténor Anicio Zorzi Giustiniani, qui compense par un beau lyrisme la profondeur dont sa voix manque encore pour un rôle assez central. Laura Polverelli donne au personnage de Tebaldo tout le mordant et le clair-obscur souhaitable pour les scènes mélancoliques de ce rôle typique de contraltino, originellement écrit pour le castrat Velluti. Quant à Sandra Pastrana, dans le rôle d'Isolina, elle ne démérite pas face à une écriture très virtuose d'airs où la colorature est omniprésente, bien que quelques suraigus, et singulièrement dans son dernier air, paraissent un peu tirés. L'ensemble réserve d'étonnantes découvertes et quelques morceaux d'anthologie qui méritent à cette production de figurer en bonne place parmi les révélations dont le festival Rossini in Wildbad est coutumier.
Alfred Caron