Stephen Gould (L’Empereur), Camilla Nylund (L’Impératrice), Evelyn Herlitzius (La Nourrice), Sebastian Holecek (Le Messager des esprits), Maria Nazarova (Le Gardien du seuil du Temple/La Voix du Faucon), Benjamin Bruns (La Voix d’un jeune homme), Monika Bohinec (Une voix d’en haut), Wolfgang Koch (Le Teinturier Barak), Nina Stemme (La Teinturière), Samuel Hasselhorn (Le Borgne), Ryan Speedo Green (Le Manchot), Thomas Ebenstein (Le Bossu). Chœur et Orchestre de l’Opéra d’État de Vienne, dir. Christian Thielemann (live 25 mai 2019).
Orfeo C991203. 3 CD. Présentation bilingue (all., angl.). Distr. DistrArt Musique.

 

Böhm, Karajan, Solti, Sawallisch : quelle place aujourd’hui, pour une nouvelle Femme sans ombre ? Sebastian Weigle, malgré ses mérites, n’avait guère ajouté à la discographie. Ce live viennois se situe beaucoup plus haut, ne serait-ce que par la direction de Christian Thielemann, qui entretient avec l’œuvre, plus qu’avec aucun autre opéra de Strauss, de profondes affinités. On a rarement entendu une telle transparence, des chatoiements aussi impressionnistes, des courbes aussi capiteuses : l’opéra redevient un Märchen, sans que le théâtre perde ses droits. La luxuriance orchestrale n’est pas lourdeur, l’orchestre viennois est plus beau, plus sensuel que jamais. Vocalement, le plateau, mis à rude épreuve par Strauss, tient fort bien la route, sans atteindre les sommets des versions phares de la discographie. Un peu incertaine au début, Camilla Nylund devient peu à peu une belle Impératrice, surtout au troisième acte, sans toutefois irradier comme la légendaire Rysanek. Voilà un certain temps, en revanche, que l’Empereur époumone Stephen Gould dès que la tessiture se tend, beaucoup plus à l’aise dans les passages au lyrisme plus intimiste. Les Teinturiers les dominent. Même usé, Wolfgang Koch a toujours cette humanité – et ce style – qui en fait l’héritier de Walter Berry. Nina Stemme n’a plus, elle non plus, son insolence de jadis, mais elle assume crânement les éclats du personnage dont, comme hier une autre Suédoise nommée Birgit Nilsson, elle chante les notes sans recourir au Sprechgesang, sa tendresse frustrée aussi, loin de réduire la Teinturière à une hystérie débraillée : quoi qu’elle chante, elle phrase. Teinturière fut naguère Evelyn Herlitzius, aujourd’hui Nourrice. Si l’ancienne soprano, plus éloquente dans l’aigu, fabrique et trafique ses graves, elle tient à peu près ses registres et compose un très intéressant personnage, moins sombre qu’à l’accoutumée, tentatrice plus que sorcière, plus chanté que d’autres aussi. Les rôles secondaires sont parfaits. Encore une fois, pas vraiment la Frau de l’île déserte, mais il faut avoir entendu cette version – intégrale – du centenaire de l’œuvre.


Didier van Moere