John Osborn (Hoffmann), Nina Minasyan (Olympia), Ermonela Jaho (Antonia), Christine Rice (Giulietta), Erwin Schrott (Lindorf/Coppélius, le docteur Miracle/Dapertutto), Irene Roberts (la Muse), Rodolphe Briand (Spalanzani), Paul Gay (Luther/Crespel), François Lis (Schlemil), Sunnyboy Dladla (Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio), Mark Omvlee (Nathanaël), Frederik Bergman (Hermann), Alexander de Jong (Wilhelm), Peter Arink (le Capitaine des sbires), Orchestre philharmonique de Rotterdam, Chœur de l'Opéra national des Pays-Bas, dir. Carlo Rizzi, mise en scène : Tobias Kratzer (Amsterdam, De Nederlandse Opera, 2018).
C Major 752808. (2 DVD) Notice et synopsis en français, anglais et allemand. Distr. DistrArt Musique.
Considéré par une frange du public et de la critique comme le nouvel enfant terrible de la mise en scène d'opéra, Tobias Kratzer réalise des spectacles qui s'imposent durablement dans la mémoire. Ainsi en est-il de ces Contes d'Hoffmann amstellodamois, montés entre une Africaine (Francfort, 2018) transformée en voyage interstellaire et un Tannhäuser (Bayreuth, 2019), où Vénus se retrouve au volant d'une camionnette Citroën. Dans l'ultime chef-d'œuvre d'Offenbach, Kratzer joue en virtuose de la dichotomie entre rêve et réalité, créant certaines atmosphères convenant admirablement au caractère fantastique des trois histoires d'amour racontées par le poète. L'espace scénique fait penser à une immense maison de poupées où la pièce centrale, la plus vaste, représente l'appartement d'Hoffmann, ici artiste photographe qui partage sa vie avec une compagne jouée par l'interprète de Nicklausse. L'action des contes se déroule dans des pièces de différentes dimensions situées autour de cet espace et composent autant de lieux d'une inquiétante étrangeté. Tout un monde interlope grouille dans les bas-fonds et jusque sous les combles de cet immeuble, chez le proxénète Spalanzani qui accueille les clients des filles sur lesquelles il se livre à d'horribles expériences, chez le conseiller Crespel qui séquestre sa fille Antonia, et dans les sombres canaux de la Lagune où rôde la mort. Particulièrement saisissant est l'acte de Munich, avec ses ombres chinoises qui s'étirent lorsque paraît le docteur Miracle, puis la scène finale qui voit Antonia monter jusqu'au grenier pour découvrir derrière un rideau le gramophone d'où jaillissait la voix de sa mère. Si le spectacle soulève globalement l'enthousiasme, on demeure toutefois partagé quant à quelques choix discutables. On ne comprend pas bien, par exemple, pourquoi Hoffmann ne quitte pas son logement pendant tout l'acte d'Antonia. Contrairement à toute logique, celle-ci vient sur scène, à côté de Miracle et Crespel, pour subir un examen médical qui devrait en principe s'effectuer « à distance ». Quoique l'acte vénitien pose d'insolubles problèmes à tout metteur en scène, il est étonnant de constater que le tableau final a lieu chez Hoffmann, espace normalement associé à la réalité. Cela dit, la vision de Kratzer est puissante et ouvre de nouvelles perspectives proprement fascinantes sur l'ouvrage.
Outre le plaisir scénique, cette production brille par une distribution remarquable dominée par John Osborne, sans doute le meilleur titulaire actuel d'Hoffmann avec Michael Spyres. Timbre solaire, français très soigné, style châtié et aigus triomphants, le ténor américain possède à peu près toutes les qualités qu'on peut désirer. Seul regret : l'acteur manque de naturel et il ne chante pas les seconds couplets de « C'est une chanson d'amour » et de l'air à boire « Amis, l'amour tendre et rêveur ». Omniprésente, la Muse-Nicklausse d'Irene Roberts joint à une présence quasi maternelle un timbre capiteux qui s'épanouit dans « Vois sous l'archet frémissant » et un émouvant « Des cendres de ton cœur ». Les trois dames qui se partagent le cœur du poète forment un trio de très haut niveau : Olympia faussement intimidée et aux vocalises déliées de Nina Minasyan, Antonia très touchante d'Ermonela Jaho à la belle voix ronde et Giulietta envoûtante de Christine Rice qui chante à ravir « L'amour lui dit : la belle ». Tiendrait-on un sans-faute dans cet ouvrage particulièrement difficile à distribuer ? Hélas non, en raison d'Erwin Schrott, dont les indéniables talents de comédien dans les quatre vilains ne sauraient excuser un manque flagrant de préparation et une diction française absolument calamiteuse. Ses lacunes sont d'autant plus frappantes que les seconds rôles sont tenus par une équipe de chanteurs exceptionnels : Rodolphe Briand (Spalanzani), Paul Gay (Luther/Crespel), François Lis (Schlemil) et Sunnyboy Dladla (les quatre serviteurs). Le chœur fait preuve d'une vaillance sans faille, sachant s'adapter aux tempos parfois excessivement rapides de Carlo Rizzi. En dépit de ce léger problème et de quelques décalages, le chef insuffle à l'Orchestre philharmonique de Rotterdam une admirable ardeur dramatique, dans une version qui s'en tient essentiellement à celle de Michael Kaye/Jean-Christophe Keck. Il pratique toutefois quelques coupures malencontreuses, notamment dans l'épilogue, ici réduit à sa plus simple expression. Malgré quelques bémols, ce DVD mérite de figurer dans la vidéothèque de tout amateur d'Offenbach.
Louis Bilodeau