Peter Rose (Alexandr Petrovic Gorjancikov), Evgeniya Sotnikova (Aljeja), Ales Briscein (Luka Kuzmic, Filka Morozov), Charles Workman (Skuratov), Bo Skovhus (Siskov), Christian Rieger (le Gouverneur de la prison), Manuel Günther (Nikita), Chœur et Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière, dir. Simone Young, mise en scène : Frank Castorf (Munich, juin 2018).
DVD BelAir Classiques BAC173. Notice et synopsis en français, anglais, allemand. Distr. Outhere.
Un vaste mirador composite règne sur la scène tournante de cette prison à ciel ouvert, porte ses regards sur tous partout, dispositif panoptique qui affichera, grossies, les vidéos d’une humanité enténébrée dans la souffrance, éléments imparables du vocabulaire visuel de Frank Castorf.
S’il y a un opéra qui semblait destiné à ce lecteur avisé de Dostoïevski, c’est bien ce De la maison des morts où il s’emploie par sa direction d’acteurs cruelle à force d’exactitude à saisir les errements des âmes. Ses gestes dramatiques sont littéralement produits par la musique, rien n’y est plaqué comme dans la mise en scène londonienne de Krzysztof Warlikowski qui y invitait des (ses) démons supplémentaires, Castorf ayant pour lui une parfaite adéquation de son univers au sujet même qui aura permis à Janacek d’écrire son œuvre la plus radicale.
Il sait animer les récits des bagnards, leur donner une dimension humaine bouleversante, et force ses chanteurs à dépasser leurs limites : il faut voir Ales Briscein, Luka Kuzmic halluciné, sombrer dans la folie au détour d’une phrase. Coup de génie, Castorf sexualise Aljeja : le jeune Tartare marié au symbole de l’Aigle n’aura jamais connu d’incarnation aussi troublante.
Saisi par les indications du metteur en scène, Bo Skovhus expose toute l’horreur du personnage de Siskov, alors que Charles Workman danse jusque par sa voix éclatante l’alliage délétère de douleur et de folie qui fait de Skuratov l’un des personnages les plus saisissants de ce spectacle. Admirable de détachement, Peter Rose est dans chaque fibre de son être, dans chaque mot de son chant, Alexandr Petrovic Gorjancikov.
Sur cette humanité enténébrée jusque dans le divertissement de La Belle Meunière où soudain Castorf semble songer au spectacle des morts en sursis de Terezin, sur ces prisonniers vêtus de squelettes et des masques mexicains de la fête des morts, Simone Young dispense un orchestre opulent, seul espoir d’un paradis impossible, donnant à la soirée une dimension supplémentaire, l’extrayant de tout réalisme. Immense production, qui peut, sans baisser les yeux, regarder le geste épuré de Patrice Chéreau.
Jean-Charles Hoffelé