Eric Owens (Krakamiche, le dernier sorcier), Jamie Barton (la Reine des Fées), Camille Zamora (Stella), Adriana Zabala (le prince Lelio), Michael Slattery (Perlimpinpin), Sarah Brailey (Verveine), Trudie Styler (récitante), Manhattan Girls Chorus, piano et dir. Myra Huang (2018).
Bridge 9515. Notice en anglais. Livret en français et en anglais. Distr. DistrArt Musique.
De Pauline Viardot on connaissait essentiellement jusqu’ici ses mélodies et sa Cendrillon ressuscitée en 2013 par l’Académie de l'Opéra-Comique, et dont une production initiée par le Palazzetto Bru Zane était prévue en mai de cette année à Saint-Étienne puis à Caen. Créé dans un cadre privé à Baden-Baden devant un aréopage d’artistes où figuraient Brahms, Liszt, Clara Schumann et Hermann Levi, Le Dernier Sorcier, opéra de chambre en deux actes, séduit immédiatement par le naturel de son invention mélodique et sa légèreté de touche. On y reconnaît l’idiome caractéristique du nouvel opéra-comique et sa liberté d'invention. Il évoque souvent Gounod, Offenbach et même Chabrier auquel le rôle du prince Lelio en travesti fait singulièrement penser. Le livret de Tourgueniev tient de la bluette sentimentale et présente assez peu d’intérêt dramatique. Il met en scène un sorcier ayant perdu ses pouvoirs, tourmenté par les Fées dont il a annexé le territoire, et dont la fille est amoureuse d'un Prince qui est le fils de son ennemi juré. Il offre toutefois à la compositrice prétexte à faire valoir une veine créative séduisante et très variée, avec des airs poétiques et sentimentaux proches de la romance et de demi-caractère très réussis, un sens certain du théâtre musical et un métier incontestable dans l’accompagnement au piano (que Viardot assurait elle-même à la création) ainsi que des ensembles très élaborés comme le finale choral de l’acte I, le duo du couple d’amoureux ou le beau quatuor a cappella du deuxième acte.
S’agit-il d’un opéra-comique ? La notice ne le dit pas mais on aurait tendance à le penser car dans cette version d’origine américaine - au demeurant globalement plutôt bien articulée - la liaison entre les dix-neuf numéros de la partition est assurée par un récit en anglais, remplaçant sûrement les dialogues originaux. Du reste, le fait que l’unique mélodrame se retrouve privé de sa partie textuelle pourrait bien en être la preuve. D’une excellente distribution se détache particulièrement le beau mezzo ombré au français impeccable d'Adriana Zabala auquel répond la Stella aux aigus légèrement tirés de Camille Zamora. Dans le rôle-titre, le baryton-basse Eric Owens maîtrise bien toutes le facettes de son personnage bouffe. Excellente également la Reine des Fées aux coloratures subtiles de Jamie Barton ainsi que le Manhattan Girls Chorus d'une parfaite homogénéité, malgré une articulation française parfois un peu exotique. Enfin l'excellente pianiste porte à elle seule toute la dynamique de l'œuvre et lui donne beaucoup de relief. À coup sûr, si cet opéra, resté longtemps inconnu car le manuscrit en figurait dans une collection particulière, n'est pas un absolu chef-d'œuvre, c'est en tous cas une perle fine et il mérite de figurer parmi les belles réussites du répertoire de salon du second dix-neuvième siècle.
Alfred Caron