UGA Éditions, Grenoble, 2019, 355 p.
Éminent représentant de l’école comparatiste française, comme Pierre Brunel, Francis Claudon entretient la même intimité avec Stendhal et avec la musique : c’est dire d’emblée l’intérêt de ce livre. Il fallait d’abord rappeler la place qu’elle occupe chez l’auteur de Lucien Leuwen : il juge ses plaisirs supérieurs à ceux de l’amour. Les sons, d’ailleurs, expriment mieux la passion que les mots. Et Stendhal, qui se serait rêvé musicien sans vraiment connaître la musique, se sent plus autorisé à en parler que les pédants, parce qu’il la sent mieux que ceux qui l’analysent. Ne s'adresse-t-elle pas directement à l’âme, sans passer par la représentation ? À Stendhal suffit donc d’avoir entendu les œuvres et fréquenté tous les théâtres d’Europe. C’est en effet surtout avec l’opéra qu’il entretient des rapports privilégiés, mettant Cimarosa et Mozart au-dessus de Rossini – le premier « génie sanguin », le second « génie mélancolique » - l’opéra français suscitant chez lui une hostilité non dissimulée.
La musique, chez Stendhal, déborde largement le cadre de ses journaux ou de ses biographies de musiciens. Elle est à l’œuvre dans ses fictions, où pourtant il n’est pas si souvent question d’elle. Mais tel ou tel de ses personnages peut rappeler un héros d’opéra – Fabrice del Dongo chez l’abbé Blanès réincarnerait, par exemple, Tamino apprenant la sagesse chez Sarastro, Ferrante Palla conspire comme Sesto, sans parler des multiples jeux d’écho entre Le Voyage à Reims et Le Rouge et le Noir… Et, surtout, la musique sous-tend l’écriture romanesque, Stendhal compose ses romans comme il composerait des opéras, avec des paysages rappelant des décors : remarquables chapitres sur « Le récit stendhalien et son horizon théâtral » et sur « Musiques et musicalité dans La Chartreuse de Parme ». Chez Stendhal, « le roman joue l’opéra ».
Certains pourront trouver l’exercice un peu systématique – d’autres regrettant que les références bibliographiques à L’Avant-Scène Opéra s’arrêtent au numéro 175... Mais ils ne pourront nier que Francis Claudon ouvre de passionnantes perspectives. Et qu’une fois son livre fermé, nous ne lisons plus Stendhal de la même façon.
Didier van Moere