CD Sony 88883709262. Distr. Sony.
L'enregistrement en studio de grands titres du répertoire est devenu une telle rareté que, pour s'y livrer, il faut avoir un vrai projet éditorial à défendre. C'est le cas de Teodor Currentzis, une des personnalités les plus atypiques du paysages musical actuel. Formé à Saint-Pétersbourg par le grand Ilya Musin et par le plus célèbre de ses élèves, Valery Gergiev, le jeune chef grec s'est fait connaître par sa direction hallucinée des mises en scène de Dmitri Tcherniakov, de Macbeth à Wozzeck. Installé en Russie, il y expérimente sa manière très personnelle, à Perm, ville industrielle d'un million d'habitants à 1400 km de Moscou où est né ce projet de trilogie Da Ponte chez Sony.
Sous son impulsion, une partie des musiciens de son orchestre a formé un groupe jouant sur instruments d'époque, avec lequel le nombre de répétitions est illimité. Dans ces conditions extrêmes, Sony a réuni une distribution jeune, pauvre en stars à l'exception de la Comtesse de Simone Kermes. Sans le support de l'image, Currentzis confie à la seule musique le soin de traduire le théâtre de Mozart et Da Ponte. Comme souvent, ses choix sont radicaux et pourront agacer. La verdeur des instruments, la vitalité et l'alacrité des tempi, les contrastes très accusés : on vit bien une folle journée ! Au début, on craint que la machine tourne à vide et sacrifie au goût de l'effet, accentué par un pianoforte virevoltant mais envahissant (on n'a jamais été convaincu par l'opportunité de faire jouer le clavier dans les airs et ensembles). Mais finalement, on entre dans ce mouvement survolté, l'attention aiguisée par son fourmillement d'idées, d'autant que l'émotion n'en est pas absente. Voilà un chef qui a le sens du théâtre : si vous préférez un Mozart plus gracieux et équilibré, moins rock'n roll, vous passerez votre chemin.
Les chanteurs ont recours à l'ornementation, qui n'est plus une nouveauté depuis Mackerras : toujours affaire de goût, les enjolivements sont réalisés avec fantaisie mais sans tomber dans la faute stylistique. On sera plus réservé quant à la distribution, revers de la médaille quand on opte pour une troupe jeune et malléable. Si le Comte d'Andrei Bondarenko ne manque pas d'autorité, si le Chérubin de Mary-Ellen Nesi fait exister son personnage avec un timbre aussi chaleureux que présent, le Figaro de Christian van Horn est bien léger, et la Suzanne de Fanie Antonelou un fruit encore vert. Celle dont on attendait le plus est celle qui déçoit le plus : en guest star, Simone Kermes fait du Simone Kermes, tombant dans ses maniérismes narcissiques qui donnent constamment l'impression qu'elle s'écoute chanter. Les ensembles, en revanche, sont très harmonieux, confirmant que ce projet est bien celui d'un chef, et que l'esprit collectif qui y souffle vaut plus que la somme des individualités.
C.M.