John Brancy (Mr. Fox), Krista River (Mrs. Fox), Gabriel Preisser (Bean), Andrew Craig Brown (Boggis), Edwin Vega (Bunce), Elizabeth Futral (Miss Hedgehog), Tynan Davis (Rita the Rat), Andrey Nemzer (Agnes the Digger), Gail Novak Mosites (Mavis the Tractor), John Dooley (Badger the Miner), Jonathan Blalock (Burrowing Mole), Theo Lebow (Mr. Porcupine), Boston Modern Orchestra Project, Boston Children’s Chorus, dir. Gil Rose (2014).
BMOP 1065 (2 CD). 1h23. Notice et livret en anglais. Distr. amt public relations.
Bien qu’assez tardivement venu à l’opéra, Tobias Picker en compte aujourd’hui cinq à son catalogue. Le deuxième, Fantastic Mr. Fox, est fondé sur le roman éponyme de Roald Dahl. Plutôt que d’opéra pour enfants, le compositeur préfère parler d’opéra familial, les parents y étant gratifiés d’un second degré dont les subtilités échapperont probablement à leur progéniture.
Le livret concocté par Donald Sturrock concilie une action condensée et rythmée, un espace expressif propice au développement lyrique, et un ton dont la dominante buffa n’exclut pas des moments plus introspectifs. Musicalement, le langage oscille entre un néo-classicisme clairement tonal dont l’une des influences les plus manifestes est celle de Stravinsky, et une tendance atonale dont il faut peut-être chercher la source chez Charles Wuorinen et éventuellement Elliott Carter, auprès desquels étudia le compositeur. Un cadre rythmique très affirmé et une orchestration efficace mais assez peu inventive accueillent une écriture vocale qui, selon les besoins dramaturgiques, se rapproche tantôt d’un bel canto fluide, tantôt de profils mélodiques plus tendus.
Unis par leur rusticité, les fermiers Boggis, Bunce et Bean se différencient par leurs traits de caractère et leur traitement vocal. Bourru et lourdaud, le premier bénéficie d’une puissance que le baryton-basse Andrew Craig Brown n’hésite pas à rendre caverneuse, tandis que pour souligner le côté loufoque du second, le ténor Edwin Vega déraille volontiers. Tous deux dosent finement leurs effets et se gardent de surjouer le burlesque, si bien que l’on profite de leurs voix non altérées. Plus malin que ses acolytes, Bean est aussi le plus déterminé à exterminer la famille des renards. Le baryton Gabriel Preisser assume avec toute l’autorité requise son rôle de leader de ce trio peu amène.
L’un des atouts de cette production est d’avoir favorisé un certain naturel des voix. On est certes à l’opéra, mais dans un conte, comme nous le rappelle la personnification des animaux, mais aussi du tracteur et du bulldozer. John Brancy campe un Mr. Fox à la voix ronde et chaleureuse, doté d’une belle réserve de puissance dans les aigus lorsque la situation le requiert. Toute aussi avenante, la mezzo Krista River se montre très à l’aise lorsque sa partie tend stylistiquement vers le music-hall. D’une intonation parfois approximative, les voix d’enfants (les renardeaux) sont très pertinentes dans ce contexte. Les passages de chœur et les ensembles bénéficiant d’une belle consistance, on pourra par contraste trouver un peu fade une écriture orchestrale dont les ressorts sont plutôt conventionnels et la polyphonie un peu rugueuse. À cette réserve près, on ne boude pas son plaisir à l’écoute d’un opéra très bien incarné, dénué de temps morts et dont la musique manifeste un humour plaisant (la romance énamourée entre Madame Hérisson et Monsieur Porc-Épic, les allusions au machinisme musical de Mossolov lorsque le terrier est attaqué par Mavis et Agnes, le clin d’œil à L’Ode à la joie pendant le moment festif, ou encore la référence au Candide de Bernstein lorsque Rita le Rat en liesse s’exclame « What a day »). Picker convoque en filigrane les imaginaires de la comédie musicale, du cinéma, du cartoon. À condition de maîtriser le vocabulaire luxuriant de Roald Dahl ou de se munir d’un bon dictionnaire, on se délectera de cet opéra rusé comme un renard.
Pierre Rigaudière