Judith van Wanroij (Issé), Mathias Vidal (Apollon/Philémon), Thomas Dolié (Hylas), Chantal Santon-Jeffery (Doris), Matthieu Lécroart (Pan, Jupiter), Eugénie Lefebvre (la Première Hespéride, une Dryade), Étienne Bazola (le Grand Prêtre, Hercule), Stephen Collardelle (le Sommeil, l'Oracle, un Berger), Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Les Surprises, dir. Louis-Noël Bestion de Camboulas (2018).
Ambronay 053 (2 CD). 2h. Notice en français. Distr. Accent Tonique.
À la suite de la recréation de cet ouvrage délicieux à Montpellier, en juillet 2018, nous en appelions l'enregistrement de nos vœux : nous voici exaucé, et de la meilleure façon qui soit - l'interprétation a eu le temps de se roder lors de plusieurs concerts, à l'issue desquels l'enregistrement s'est fait, en deux sessions, dans le cadre de l'Opéra de Versailles. Il en résulte que certaines maladresses de distribution et de mise en place ont été parfaitement corrigées : si, à Montpellier, le chœur se montrait timide, les vibrants Chantres de Versailles (plus nombreux) participent pleinement à la réussite du disque, rendant justice aux ravissants jeux d'effectifs que réclame le divertissement du premier acte et aux passages a cappella voulus par le « sommeil » du IV.
La haute-contre qui nous avait déplu en Apollon a cédé la place à un Vidal toujours incisif et brillant, peut-être un rien fébrile - mais le rôle, pour être bref, n'en est pas moins tendu. Bazola hérite du Grand Prêtre, dont la tessiture aiguë lui convient mieux que celle d'Hylas, rôle confié à Dolié : un très bon choix, tant le baryton-basse confère de sombre ardeur, de tragique intensité à l'amant éconduit d'Issé, nous valant quelques-uns des meilleurs moments du disque (sa glorieuse entrée « L'Amour a tout soumis », à l'acte I, et son pathétique récit de l'acte III, « Sombres déserts »). Lefebvre abandonne le rôle-titre à une Van Wanroij au timbre plus ombré, au chant plus ample et habité (où un soupçon de legato supplémentaire ne serait pas malvenu), tandis qu'elle-même cisèle les parties ouvragées de l'Hespéride et de la Dryade. Pas de changement en ce qui concerne le couple secondaire, composé par un Lécroart, dont le baryton sonore et rustique contraste avec le timbre plus sombre de Dolié, et une Santon-Jeffery dont les problèmes de soutien et d'élocution nous gênent toujours autant.
La direction tonique, cohérente et souple de Bestion de Camboulas parvient à faire tenir ensemble les différentes strates de l'ouvrage, réussissant de beaux dialogues pathétiques (les confrontations d'Issé et Philémon, si joliment écrites par Houdar de La Motte), un merveilleux acte III, un prologue coloré, mais laissant s'essouffler l'acte IV, raccourcissant le V (la chaconne ?) et ne tirant pas tout le parti possible des provocations de Pan (« Le plus charmant amour/est celui qui commence et finit en un jour »). Bien que de dimensions modestes (sans doute trois fois moins ample que celui de l'Académie royale de musique où fut créée la seconde version d'Issé, en 1708), l'orchestre des Surprises s'avère fort expressif, notamment du côté des flûtes. On applaudit donc sans réserve l'entrée au catalogue de cette œuvre célèbre mais peu fréquentée.
Olivier Rouvière