Joyce DiDonato (Marguerite), Michael Spyres (Faust), Nicolas Courjal (Méphistophélès), Alexandre Duhamel (Brander). Coro Gulbenkian, Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson (concert live, Salle Érasme, 25-27 avril 2019).
Erato 9482753 (2 CD). Présentation, synopsis et livret trilingues (franç., angl., all.). Distr. Warner.

 

Après Béatrice et Bénédict, Benvenuto Cellini et Les Troyens, il nous fallait La Damnation de Faust par John Nelson, grand berliozien devant l’Éternel. C’est chose faite grâce au live, à Strasbourg comme pour la fresque virgilienne, avec un orchestre qui se surpasse et gagne sa place dans une discographie pourtant très riche, et cette fois, un chœur invité, l’exemplaire Gulbenkian. Et, de nouveau, une référence, parce que le chef américain a regardé la partition au fond des yeux, en restitue les plus infimes détails, les plus infimes nuances, sans compromettre l’équilibre des plans sonores ou la continuité du flux musical – il réussit là où à Londres échouait le non moins raffiné Sir Simon Rattle qui, à force de s’attacher aux détails, oubliait d’avancer. Certes on ne trouvera pas ici de théâtralité flamboyante dans ce qui est bien une « légende dramatique » : Nelson s’attache peut-être davantage à créer des climats et à marier les couleurs – magie du tableau du bord de l’Elbe, avec un Ballet des sylphes d’une finesse suprême, alors que plus tard le Menuet des follets oscillera entre vraies facéties et fausses langueurs. Le passage d’une Course à l’abîme, où le « monstre hideux » est effrayant, et d’un Pandaemonium effrénés à la douce lumière du paradis est magnifique. Et si les étudiants avinés de la Taverne d’Auerbach pourraient être plus débridés, l’Amen fugué chanté dans le nez devient enfin la parodie irrévérencieuse qu’il doit être.

La distribution atteint les mêmes sommets. Michael Spyres est aujourd’hui ce qu’était jadis Nicolai Gedda : le meilleur ténor français non français, par la qualité de l’articulation, la souplesse de l’émission et la pertinence stylistique. Un Faust d’anthologie, plus juvénile, moins tourmenté que son prédécesseur, rayonnant dans le duo d’amour, aux aigus pianissimo, plus ténébreux dans l’Invocation à la nature, dont les tensions n’affectent pas la tessiture. Avec Joyce DiDonato, un couple idéal : le mezzo clair au timbre de velours a les frémissements sensuels de Marguerite, jusqu’à la Romance, où la douleur se mêle au souvenir du plaisir, rendant à la jeune femme une jeunesse dont la privaient certains mezzos plus corsés et plus sombres. Quant aux canons du chant français, ils n’ont plus de secrets pour elle. La voix rocailleuse de Nicolas Courjal sied bien à l’ironie du démon, dont il creuse chaque mot avec un raffinement pervers, ce qui rend très incisive la déclamation des récitatifs. Mais cela se retourne parfois contre lui : dans un Air des roses un peu trop détimbré, cela tend à la sophistication et nuit au legato. Brander, enfin, prend ici un relief étonnant et l’on se demande, à écouter la Chanson du rat, si Alexandre Duhamel ne serait pas un diable en herbe.

Bonne nouvelle : Erato, paraît-il, enregistrera Roméo et Juliette cette saison, avec les mêmes – ou presque, puisqu’on entendra Cyrille Dubois dans le Scherzetto de la reine Mab. En attendant, écoutez et/ou regardez le Requiem capté à la cathédrale Saint-Paul de Londres (CD et DVD réunis).

Didier van Moere