Marlis Petersen (Leonore), Maximilian Schmitt (Florestan), Dimitry Ivashchenko (Rocco), Robin Johannsen (Marzelline), Johannes Weisser (Don Pizarro), Tareq Nazmi (Don Fernando), Johannes Chum (Jaquino), Florian Feth (Premier Prisonnier) Julian Popken (Deuxième Prisonnier), Orchestre baroque de Fribourg et Zürcher Sing-Akademie, dir. René Jacobs (live, Philharmonie de Paris, 7 novembre 2017).
Harmonia Mundi HMM 902414.15 (2 CD). Notes et livret alle./fran./angl. Distr. Harmonia Mundi.
Tout à la fois déconcertante et exaltante, cette nouvelle Leonore nous prouve que René Jacobs n'a pas encore fini de nous étonner. Saluons d'abord la qualité de son travail de réécriture des dialogues, qui sonnent ici très justes et ne s'étirent jamais outre mesure. Sa direction s'avère quant à elle pour le moins contrastée. Après une ouverture Leonore II un peu raide d'articulation ne manquant toutefois pas d'élan dramatique, on peut à bon droit se récrier contre la battue excessivement précipitée qu'il adopte dans la majeure partie des numéros des deux premiers actes, comme s'il souhaitait expédier au plus vite ce qui retarde indûment les affaires sérieuses... À la limite, on peut admettre que Marzelline et Jaquino fassent preuve d'un caractère primesautier se traduisant par des rythmes allègres, mais comment admettre que des pages aussi sublimes que le Quatuor et le Chant des prisonniers soient ainsi partiellement dépouillées de leur côté méditatif ? Une fois émise cette sérieuse réserve, il faut reconnaître que Jacobs se ressaisit comme par enchantement pour atteindre au sommet de son art dans un air de Leonore magistral et un troisième acte fabuleux, aussi bien d'intensité dramatique que de ravissement musical. Grâce au moelleux des bois ainsi qu'à l'envoûtante âpreté des cordes et des cuivres, la partition révèle des couleurs insoupçonnées jusqu'à ce jour.
Leonore au timbre assez proche de la délicieuse Marzelline de Robin Johannsen, Marlis Petersen est la perle de cet enregistrement. On reste confondu devant l'apparente facilité avec laquelle elle se joue des innombrables embûches de « Komm, Hoffnung » et autres passages périlleux de l'écriture beethovénienne. À un timbre d'une grande pureté elle joint une expressivité remarquable et une puissance qu'on n'imaginerait pas a priori chez une voix notamment associée à Mozart ou à Bach. Également doté d'une voix aux belles couleurs claires, Maximilian Schmitt chante avec beaucoup d'élégance le rôle de Florestan, sans peut-être traduire parfaitement la déréliction du prisonnier au début de son air. En plus de Dimitry Ivashchenko, dont le Rocco joint la truculence à des moyens vocaux impressionnants, la distribution permet d'apprécier le Jaquino bien chantant de Johannes Chum et le digne Fernando de Tareq Nazmi. Déception cependant du côté des deux Prisonniers, tout comme chez le Pizarro inconsistant et trop léger vocalement de Johannes Weisser. Le chœur de la Sing-Akademie de Zurich accomplit des prodiges dans le finale du troisième acte, achevant de nous convaincre que les éminentes qualités de cette version l'emportent nettement sur ses quelques scories.
Louis Bilodeau