Anthologie de solos et duos + sept nouveaux extraits (3 CD). Philippe Jaroussky (contre-ténor) et alii.
Erato 0190295375553. Notice franç.-angl.-all. Distr. Warner.
Célébrant ses vingt ans de carrière, le contre-ténor Philippe Jaroussky propose une nouvelle anthologie de son parcours discographique, succédant à La Voix des rêves parue en 2012. La plage inaugurale du coffret, « Sileant Zephyri », se pose en emblème d’un répertoire (Vivaldi) et d’un esprit (élégiaque) qui sont, pour beaucoup de mélomanes, indissociables de l’artiste (selon une jolie boucle, le disque se referme d’ailleurs sur le « Cum dederit » du Nisi Dominus) – elle fait aussi partie de ses « meilleures vues » sur YouTube, témoignant de la popularité numérique de Jaroussky. La seconde plage se charge d’apporter un immédiat contraste, avec le truculent « Che città » de Cavalli. Toutes deux sont aussi portées par l’ensemble Artaserse, fondé par Philippe Jaroussky en 2002, disposant d’emblée le chanteur dans l’horizon de sa prochaine activité de chef.
Les 53 extraits réunis brassent ainsi rêverie et fougue virtuose, répertoires sacré et profane, musique baroque (bien sûr dominante) mais aussi chanson française, lied, song ou mélodie, et convoquent les partenaires les plus prestigieux (parmi lesquels Andrea Marcon, Jean-Christophe Spinosi, Diego Fasolis, Christina Pluhar ou Riccardo Minasi), consacrant même le CD 3, intitulé Philippe & Friends, à des guest stars amies, dont Cecilia Bartoli, Anne-Sofie von Otter, Emmanuelle Haïm, Marie-Nicole Lemieux ou Max Emanuel Cencic. CD particulièrement attachant, tant chaque duo y témoigne d’un art de la musique partagée, de l’accord parfait entre voix et lignes, du réglage amoureux d’une inflexion ici, d’un vibrato là, pour atteindre à une harmonie des sphères à la sidérante limpidité.
Après une première galette à dominante italienne (outre Vivaldi et Cavalli, on y croise Porpora, Steffani et Pergolesi), le CD 2 s’ouvre au répertoire anglo-saxon, qu’il soit de langue anglaise (Purcell), italienne (Haendel, Gluck) ou allemande (Bach, Telemann), ainsi qu’à des œuvres françaises plus rares : un extrait de Fisch-Ton-Kan de Chabrier, le Colloque sentimental de Ferré, en collaboration avec le Quatuor Ébène et le pianiste Jérôme Ducros.
C’est ce dernier que l’on retrouve dans deux des sept inédits qui parsèment le coffret : deux lieder de Schubert, nouveau domaine d’exploration de Philippe Jaroussky qui livre ici un Du bist die Ruh fervent et une Sérénade (Ständchen) déliée. Deux autres inédits tout aussi intimistes et délicats convoquent la guitare de Thibaut Garcia : Flow My Tears (Dowland), ciselé, et Les Feuilles mortes (Prévert/Kosma), poétique. Le « finale » du CD 3 est une chevauchée vers la modernité la plus subtile : après Massenet, Caplet ou Trénet, deux derniers inédits invitent -M- (Matthieu Chédid), dont la voix de tête au souffle doux se marie de façon fraternelle à celle du contre-ténor dans Cet air, où pointe un délicat hommage à Higelin, et Rosemary Standley (et le violoncelle de Dom La Nena) pour un Oh My Love (John Lennon/Yoko Ono) qui, à quelques siècles de distance, pourrait être une réponse à Dowland. Cette dernière plage se suspend sur un fil aérien et interrogatif, joli point non pas final mais de suspension, laissant l’artiste comme l’auditeur à l’orée de nouvelles aventures.
Signalons que les vingt ans de carrière de Philippe Jaroussky sont aussi l’occasion de son entrée au Musée Grévin (statue dévoilée le 13 novembre dernier) et de la publication de son ouvrage Seule compte la musique. Conversations avec Vincent Agrech, à paraître le 4 décembre chez Papiers Musique*, dans la collection Via Appia dirigée par Camille De Rijck et Sylvain Fort.
Chantal Cazaux
* Papiers Musique est une marque du groupe Humensis, dont font partie également les éditions Premières Loges et L’Avant-Scène Opéra.