Sonya Yoncheva (Poppea), Kate Lindsey (Nerone), Stéphanie d’Oustrac (Ottavia), Carlo Vistoli (Ottone), Renato Dolcini (Seneca), Ana Quintans (Drusilla/Virtù), Dominique Visse (Arnalta), Léa Desandre (Valletto/Amore), Tamara Banjesevic (Damigella/Fortuna), Alessandro Fisher (Lucano), Marcel Beekman (Nutrice), Virgile Ancely (Mercurio/Console II), Les Arts Florissants, dir. William Christie ; mise en scène : Jan Lauwers (live Salzbourg 2018).
Harmonia Mundi 8902622.24 (3 CD + 1 DVD). Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.
Les trois CD s’accompagnent d’un DVD proposant de larges extraits de la première mise en scène d’opéra signée par le chorégraphe Jan Lauwers, dans le cadre du Festival de Salzbourg 2018 : seuls les amateurs de danse trouveront leur compte à cette scénographie assez laide et vulgaire (les costumes !), qui écrase la subtile dramaturgie du librettiste Busenello sous une accumulation de signes chorégraphiques et une gestuelle de sitcom. Néanmoins, un bref détour par la dimension visuelle de la production permettra d’en mieux appréhender la lecture musicale : ici, nous n’aurons plus tant à faire à des empereurs romains et des dieux de l’Olympe qu’à des bad boys et des desperate housewives d’aujourd’hui. Telle est la limite de cette lecture cohérente, fluide, animée, mais, comme souvent chez Christie, dépourvue de dimension tragique et de vrais contrastes. L’effectif orchestral s’avère parfait dans ses proportions (une quinzaine d’interprètes), permettant une réalisation où s’efface la trop coutumière séparation entre continuo et instruments mélodiques : le cornet s’invite dans les déclarations de guerre de Poppée, la flûte console légèrement Othon, la viole enrobe le duo d’amour final - sans pesanteur, sans didactisme. Cela coule, chante, galope – mais cela ricane aussi trop souvent (le Prologue, les Soldats), menace et terrifie bien peu.
Passée du Jardin des voix à Norma, Yoncheva reste une Poppée voluptueuse, charnelle, cruelle, sujette cependant à quelques écarts de justesse. Si son timbre sonne parfois grinçant, Lindsey campe un Néron idéalement adolescent et psychopathe ; de même, d’Oustrac manque de pure séduction vocale mais touche juste en Octavie à la maturité désolée (magnifiques adieux). La beauté sonore est à chercher chez Vistoli, peut-être le plus séduisant Othon de la discographie, tandis que Desandre et Banjesevic, déchaînées, nous ravissent par leurs scènes de ménage et que Fisher fait un tabac en Lucain. La Drusilla acide de Quintans, le lourd Mercure d’Ancely déçoivent moins que le Sénèque incolore de Dolcini (quelle idée de distribuer un baryton dans ce rôle !) et l’Arnalta à bout de voix de Visse (alors qu’on avait sous la main Beekman, cantonné au petit rôle de la Nourrice !). Un Couronnement qui se veut donc résolument moderne et dal vivo, avec ce que cela suppose d’atouts et de limites…
Olivier Rouvière