Brindley Sherratt (Arkel), Jacques Imbrailo (Pelléas), Kyle Ketelsen (Golaud), Damien Göritz (Yniold), Charles Dekeyser (un Médecin), Corinne Winters (Mélisande), Yvonne Naef (Geneviève), Reinhard Mayr (le Père de Pelléas). Philharmonie de Zurich, dir. Alain Altinoglu. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov (Opéra de Zurich, mai 2016).
BelAir BAC 157. Présentation et synopsis trilingues (fr., angl., all.). Distr. Outhere.
Un intérieur au design cossu, avec une salle à manger donnant sur un jardin, comme souvent. Décor de Dmitri Tcherniakov, évidemment, pour un Pelléas et Mélisande transformé en histoire de famille à la Bergman. Sur un écran, on voit le psychanalyste Golaud et sa patiente Mélisande, qu’il ramène chez lui après son internement. Mais elle n’est pas guérie, encore sous le coup d’un traumatisme, boule de nerfs à vif, malade rebelle qui plongera le psy dans l’enfer de la violence dont il pensait la libérer. Tout n’est ici que tension, crise, violence, manipulation.
Autant dire que le drame de Maeterlinck disparaît : le Russe l’a capturé et détourné. Ne comptez pas deviner la mer, apercevoir une tour, admirer une chevelure… Vous verrez en revanche, au moment de la scène des souterrains, Golaud inviter Pelléas à une sorte de scène trioliste – que les souterrains et « le fond du gouffre » deviennent le corps de Mélisande pèse d’ailleurs un peu lourd... Un corps auquel Arkel n’est pas non plus insensible… À la fin de la scène d’amour, vous verrez le héros partir en roulant sa valise. Bref, un drame de Tcherniakov. La direction d’acteurs, toujours magnifique, a beau fasciner, on a du mal à entrer dans l’histoire – et, surtout, à y rester. Si Pelléas reste pour vous un opéra du mystère, passez votre chemin. Et puis, le divan du psy sur les scènes lyriques, ça finit par sentir le déjà-vu – pas seulement chez le Russe.
Peu de mystère aussi dans la direction d’Alain Altinoglu, magnifique en tout cas par la richesse des couleurs et la théâtralité de l’approche – à l’opposé d’une tradition « impressionniste » où tout n’est que suggestion. Le plateau s’identifie à la lecture de Tcherniakov, autour de la Mélisande ado, à la fois apeurée et agressive, joueuse et autiste, de la prodigieuse Corinne Winters. Superbe voix, Kyle Ketelsen chante admirablement, insolemment presque, l’hypnotiseur tortionnaire – peut-être même le chante-t-il trop, sans ce naturel propre au récitatif mélodique. Geneviève, ici, est très présente – tous les personnages semblent d’ailleurs se regarder, voire s’épier sans cesse : impressionnante Yvonne Naef, dont la lettre constitue un morceau d’anthologie. Rien moins que patriarche sénile, l’Arkel de Brindley Sherratt s’accommode moins bien de la prosodie française et trahit des aigus instables. Un garçon du chœur de Tölz, Damien Göritz, incarne un Yniold plus vrai que nature, ado voyeur en quête d’identité – il revêt à un moment la robe de Mélisande. Pelléas ? C’est Jacques Imbrailo dans un de ses grands rôles, dont on ne sait trop, chez Tcherniakov, quel jeu il joue, mais qu’on a cru sentir plus à l’aise avec d’autres metteurs en scène – Barrie Kosky à Strasbourg, par exemple, beaucoup plus convaincant. C’est le récent Tsar Saltan bruxellois dont on aimerait un jour avoir le DVD, grande réussite du metteur en scène russe et du chef français.
Didier van Moere