Gal James (Beatrice), Christoph Pohl (Francesco Cenci), Dshamilja Kaiser (Lucrezia), Per Bach Nissen (le cardinal Camillo), Michael Laurenz (Orsini), Christina Bock (Bernardo), Wolfgang Stefan Schwaiger (Marzio), Sébastien Soulès (Olimpio), Peter Marsh (le Juge), Prague Philharmonic Choir, Wiener Symphoniker, dir. Johannes Debus, mise en scène : Johannes Erath (Bregenz, 2018)
C Major 751408. Notice en angl., all. et fr. Distr. DistrArt Musique.
Étrange idée d’avoir choisi, pour remonter enfin la Beatrice Cenci que Berthold Goldschmidt composa durant son exil en Grande-Bretagne sur un livret en langue anglaise largement déduit des Cenci de Shelley, la traduction allemande que le compositeur réalisa après l’abandon de Covent Garden : l’enregistrant en première mondiale, Lothar Zagrosek avait eu soin de choisir l’original, le libretto de Martin Esslin étant celui sur lequel le compositeur aura calqué préalablement l’allant, le flot de sa musique : tout l’ouvrage respire littéralement la prosodie de la langue anglaise que la translation vers l’idiome allemand ne parvient pas à masquer. Mais enfin, pour le public du festival de Bregenz, cela s’imposait probablement d’évidence. Pourtant un hiatus subsiste entre le style même de la musique de Goldschmidt, son orchestre immense, saturé, et la langue allemande qui ne s’y coule pas naturellement. Ce bémol envahissant ne doit pourtant pas détourner d’un spectacle brillant où Johannes Erath fait feu de tout bois, quitte à choquer pour choquer : la grande braguette dorée qu’arbore Francesco Cenci donne le ton d’un spectacle orgiaque que les Prélats omniprésents préfèrent feindre de ne pas voir. Et si le metteur en scène s’était fait voler la vedette par son costumier ? À la fin on ne peut pas même identifier les tourments de Beatrice écrasée par sa perruque et défigurée par sa robe hideuse, pire encore pour Lucrezia. Alors aussi brillante que soit la mise en scène, aussi pertinent que soit le propos d’Erath qui souligne la collusion entre la vénalité de l’Église et les perversions de Francesco Cenci, je ferme les yeux pour savourer la sombre flamboyance de la direction de Johannes Debus, vrai héros de cette renaissance aussi spectaculaire qu’imparfaite. La compagnie de chant excelle pourtant, Gal James, Beatrice émouvante et Christoph Pohl, Francesco carnassier, dangereux, alors que la Lucrezia de Dshamilja Kaiser peine à exister, handicapée par ses défroques. Une merveille, le Camillo de Per Bach Nissen, suivez bien cette basse chantante. Mais tous pâtissent d’un spectacle opulent, oppressant, qui en quelque sorte existe d’abord en les phagocytant.
Jean-Charles Hoffelé