Joshua Guerrero (Pinkerton), Carlo Bosi (Goro), Elizabeth DeShong (Suzuki), Michael Sumuel (Sharpless), Olga Busuioc (Cio-Cio San), Oleg Budaratskyi (Il zio bonzo), Simon Mechlinski (Yamadori), Ida Ränzlöw (Kate Pinkerton), The Glyndebourne Chorus, London Symphony Orchestra, dir. Omer Meir Wellber. Mise en scène : Annilese Miskimmon (Glyndebourne, 2018).
Opus Arte OA 1167 D. Livret en anglais. Distribution DistrArt Musique.


Annilese Miskimmon n’est pas la première metteuse en scène à transposer Madame Butterfly dans un contexte historique différent du livret original. En faisant le choix des années 1950, et en rapprochant le destin de l’héroïne de Puccini de celui des nombreuses Japonaises mariées à des G.I. dans l’après-guerre et que les États-Unis n'accueillirent que tardivement, elle donne au rêve américain de Butterfly un cadre historique vraisemblable et traduit avec plus de violence encore le drame de la petite geisha confrontée à ce qu’il faut bien appeler l’exploitation sexuelle et l’impérialisme. Le premier acte se déroule dans une sorte d’agence matrimoniale improvisée - un hangar en fait - où un Goro occidentalisé négocie des mariages à la chaîne entre Marines et petites mousmés qu’il traite comme du bétail. Au deuxième, nous retrouvons une Butterfly en tailleur, installée dans son salon, et son attente parmi les signes de sa conversion (crucifix, drapeau américain sur lequel elle ira mourir). Son rêve sera suggéré par des images d’archives projetées sur le rideau de scène pendant l’interlude symphonique. Le réalisme de la mise en scène n’est en fait que référentiel, il sert à donner de la crédibilité au cadre avec des personnages secondaires vraisemblables (la famille de Butterfly, Goro, Yamadori) mais l’enfant, par exemple, a d’évidence dépassé les trois ans du texte original et le décor de la casetta - ni intérieur ni extérieur - reste plus une évocation poétique qu’une véritable demeure. Toutefois, on se demande si le fait que les rôles de Pinkerton et Sharpless aient été confiés à des interprètes américains est tout à fait fortuit.

Dans le rôle-titre, Olga Busuioc se révèle d’une force exceptionnelle et totalement convaincante sans le moindre soupçon de travestissement à la japonaise. Jouant d’une magnifique voix de spinto, à l'aigu un peu métallique, la soprano moldave crée un personnage multiple, nuancé et bouleversant de vérité qui mûrit au fil des scènes avec une totale évidence. Elizabeth DeShong lui apporte le soutien de son mezzo charnu et fait de Suzuki un personnage maternel, tout à la fois discret et omniprésent. La voix brillante au vibrato assez prononcé de Joshua Guerrero sied bien à son personnage de séducteur inconscient que le public hue gentiment aux saluts. Michael Sumuel enfin, beau timbre chaleureux de baryton-basse, manque un peu de musicalité mais il campe un Sharpless plein d’humanité et de chaleur. Il faut y ajouter des personnages secondaires remarquablement incarnés et un orchestre de grande classe qu'Omer Meir Wellber dirige avec tout le sens dramatique voulu et le souci constant de la beauté sonore. Cette intelligente production prouve une fois de plus à quel point les choix artistiques du Festival de Glyndebourne sont capables de concilier un certain respect de la tradition avec la nécessité de faire exister les œuvres dans une optique contemporaine et constitue une remarquable réussite, malgré une distribution sans vedette mais d'une totale cohérence.

Alfred Caron