Stanislas de Barbeyrac (Max)
La tendance est à l’économie de kilowatts dans cet automne parisien : après des Indes galantes sous-éclairées à l’Opéra Bastille, le Freischütz du Théâtre des Champs-Élysées se déroule lui aussi dans une pénombre généralisée au volontarisme encore plus certain, vu les costumes gris et ternes de Siegrid Petit-Imbert et la boîte noire qui, en guise de non-décor, sert, avec ses écrans de transparences variables, de support aux jeux visuels de magie de la Cie 14:20, en charge de la mise en scène sous l’égide de Raphaël Navarro.
C’est pourtant bien un metteur en scène qui manque à la production, afin de donner direction et expression à cette accumulation d’effets parfois poétiques (Clément Dazin et ses balles lumineuses), atmosphériques (les vidéos de Clément Debailleul – seules traces du romantisme sylvestre qui irrigue pourtant l’ouvrage –, les fantômes de la Gorge aux Loups), mais trop souvent répétitifs voire inopportuns (le retour des balles lumineuses derrière Agathe pour sa prière, à la limite de l’humour malvenu ; les envolées de l’Ermite dans l’espace, carrément ridicules). Tout reposant sur ces effets visuels, le spectateur est souvent détourné de son attention à la musique et à son propos, scrutant malgré lui les interprètes et le plateau pour y mieux comprendre les « trucs » utilisés. Le Freischütz y perd son enjeu théâtral : les personnages n’en sont plus, indiscriminés dans leur tenue grise et relégués la plupart du temps au fond (le chœur) ou à l’avant-scène (les protagonistes), face public, selon une direction d’acteurs qui vise essentiellement à régler leur disposition en fonction des effets visés ; de nombreux moments clés de l’intrigue passent à l’as, notamment le finale où les chœurs paraissent affligés au lieu de joyeux, le Prince se confond visuellement avec Max et les sentiments entre Agathe et ce dernier restent imperceptibles. Frisson diabolique et liesse rustique sont de toute façon évacués à égalité, laissant l’œuvre sans saveur.
On ne trouvera hélas pas de quoi se consoler avec l’Insula Orchestra, qui sonne étroit (les cordes), n’évite pas les problèmes d’attaque ou d’ensemble (les cors, la petite harmonie), ni avec la direction manquant de souffle (mais aux inspirations sonores) de Laurence Equilbey, qui souvent s’appesantit et laisse passer des décalages fosse-plateau problématiques (le chœur de Chasseurs du finale !). Heureusement, l’alto solo d’Adrien La Marca se distingue en beauté dans l’air d’Ännchen. Quant aux interventions du chœur Accentus, elles sont à l’image croisée de leur haute réputation et de cette réalisation musicale décevante : très pro, mais sans vraie chair théâtrale et pas sans accroc de mise en place. Le plateau de solistes est mieux au diapason de l’œuvre et de sa flamboyance : Stanislas de Barbeyrac compose un Max engagé, fervent, son aura vocale tient tête au panache de la tessiture (presque trop quand, bloqué à l’avant-scène, sa projection paraît démesurée face à celle, ténue, de l’orchestre) ; son Agathe est servie par le parfait soprano blond de Johanni van Oostrum, ample et posé, aux nuances subtiles et aux aigus très délicatement dosés. La complémentarité est excellente avec l’Ännchen terrienne et très drôle de Chiara Skerath, et tous les autres rôles sont également bien tenus, en passant par le Kaspar au métal très sonore de Vladimir Baykov (même si on aurait aimé le personnage un rien plus ambigu : il est ici seulement autosatisfait et ne dégage pas toute la terreur intérieure que la Gorge aux Loups devrait lui insuffler) et l’Ermite digne de Christian Immler. Leur belle performance vocale – plus que théâtrale, tant les personnages incarnés sont ici oubliés dans le projet d’ensemble – n’empêche pas ce Freischütz de rater sa cible.
Chantal Cazaux
À lire : notre édition du Freischütz : L’Avant-Scène Opéra n° 105-106
Christian Immler (l'Ermite)
Photos : Vincent Pontet