Alexander Tsymbalyuk (Boris), Maxim Paster (Chouïski), Mika Kares (Pimène), Sergei Skorokhodov (Grigori), Oleg Budaratskiy (le Sergent de ville, un Garde), Okka von der Damerau (l’Aubergiste), Vasily Ladyuk (Chtchelkalov), Alexey Tikhomirov (Varlaam), Boris Stepanov (l’Innocent, Missail, un Boïar), Anton Ljungqvist (Mitioukh), Hanna Husáhr (Xénia) Johanna Rudström (Féodor). Chœur de l’opéra de Göteborg, chœur d’enfants Brunnsbo Music Classes), Orchestre Symphonique de Göteborg, dir. Kent Nagano (live et prises complémentaires, mars 2017).
BIS 2320. 2019. Texte de présentation en anglais, allemand et français. Livret en translittération russe et traduction anglaise. Distr. Outhere.
La version initiale de Boris Godounov, composée en 1869, n’a été ni représentée ni publiée du vivant de Moussorgski. Ne contenant ni intrigue amoureuse ni ballet, elle fut refusée par le Comité de lecture des Théâtres Impériaux. C’est à la suite de cela que furent ajoutés en 1872 les deux tableaux de l’acte polonais ainsi que la scène finale de la révolte populaire. Des modifications considérables furent apportées au tableau du deuxième acte dans les appartements du tsar ; certaines constituent manifestement une amélioration, en particulier en matière de force dramatique, comme la scène des hallucinations du tsar, d’autres au contraire laissent des regrets, comme son grand monologue, considérablement plus développé et intéressant dans la version initiale. Par ailleurs celle-ci contient une scène cruciale, celle devant la cathédrale Saint-Basile dans laquelle le tsar se fait interpeller par l’Innocent au sujet du meurtre du tsarévitch. Ce tableau fut retiré de la version définitive de 1872 ; toutefois l’usage s’est établi au XXe siècle de l’y réinsérer, ce que faisait notamment Claudio Abbado. Telle quelle, la version de 1869 est centrée sur la personne du tsar Boris, et apparaît certes, à côté de la version définitive, comme tronquée dans l’autre moitié de son action, celle de l’équipée ambitieuse de Grigori l’usurpateur, dont on ne voit que l’amorce. Elle reste cependant parfaitement achevée en partition et tout à fait enregistrable et représentable, honneurs auxquels elle n’a droit que de loin en loin. L’Opéra Bastille l’a montée il y a deux ans de cela. Pour ce qui est des enregistrements, le dernier en date est celui de Philips publié en 1998 sous la direction de Valery Gergiev, qui rassemble les deux versions en un seul coffret de 5 CD.
On saluera donc l’initiative de Kent Nagano, à la tête de l’orchestre symphonique de Göteborg et du chœur de l’opéra de cette ville, avec une distribution partagée entre Russes et Suédois. D’emblée on est conquis par la belle tenue de l’orchestre et des chœurs, avec une mention spéciale pour l’excellent ensemble d’enfants dans la scène avec l’Innocent, aux timbres admirables de justesse et de clarté sonore, ce qui nous rappelle que les pays nordiques sont passés maîtres dans l’art de mener à la perfection les voix juvéniles. La direction de Nagano rassemble tous les suffrages par sa solidité, son art des nuances, sa maîtrise parfaite de tout ce qui lie l’orchestre et les voix, montrant qu’en dehors de quelques rares passages qu’on aimerait renforcés, Moussorgski n’est nullement aussi mauvais orchestrateur qu’on l’a prétendu. Côté rôles principaux, les jugements seront légèrement plus nuancés, avec le Boris d’Alexander Tsymbalyuk, à la voix jeune et claire, au registre supérieur aisé, ce qui est utile dans cette version où les fa et fa dièse ne sont pas rares, certes bien investi dans son personnage mais manquant un peu du poids dramatique qu’il requiert ; nous avons trouvé par ailleurs excessivement rapide le tempo de son monologue du couronnement. Alexey Tikhomirov campe un Varlaam truculent, excellent comédien, légèrement tangent, en revanche, dans les aigus de sa chanson sur la prise de Kazan. La palme incontestable de toute la distribution revient au Pimène de Mika Kares, véritable basse noble de sage vieillard à la profondeur hiératique et patriarcale. Sergei Skorokhodov est un Grigori vaillant, dont on regrette d’autant plus la présence limitée, et Maxim Paster en Chouïski est policé et mielleux à souhait. Les seconds rôles sont excellents, comme Boris Stepanov, qui en cumule plusieurs, dont Missail et surtout l’Innocent désarmant de candeur prophétique, et Oleg Budaratskiy, Sergent de ville redoutable d’autorité. Côté dames, malheureusement fort mal servies dans cette version, quelques problèmes de justesse du côté de la Xénia de Hanna Husáhr, mais un excellent Féodor travesti de Johanna Rudström. Au total, une redécouverte qui en méritait la peine et que le charisme de Nagano maintient à un niveau de vitalité sans faille. Assurément, Gergiev possède désormais un rival.
André Lischke