Andrzej Lenart (Trespolo), Paulina Tuzińska (Artemisia), Magdalena Pikuła (Ciro), Rafał Tomkiewicz (Nino), Paweł Kowalewski (Simona), Marta Huptas (Despina), Orchestre d’instruments anciens de l’Université Chopin de Varsovie, dir. Andrea de Carlo. Mise en scène : Paweł Paszta (Varsovie 2018).
Dux 8512 (1 DVD). 2h’. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Créé à Gênes en 1679, ce Trespolo tutore en trois actes peut être considéré comme l’un des premiers opéras bouffes de l’histoire, d’autant qu’il s’empare d’une figure (celle du tuteur d’un certain âge) promise à un bel avenir. Mais l’étonnant livret de Villifranchi bouleverse d’emblée nos habitudes : ici, ce n’est pas le tuteur qui veut à tout prix épouser sa pupille mais cette dernière qui le veut, lui, et ne sait comment le lui faire comprendre ! Elle a beau lui dicter des lettres d’amour dont il est le destinataire, lui tendre le portrait de son bien-aimé (un miroir !), Trespolo préfère s’imaginer que la belle Artemisia est éprise de Ciro (qui est fou : c’est Arlequin), puis de son frère Nino (qui est sinistre : c’est le clown blanc), voire même de la matrone Simona (chantée par un ténor) ! Finalement, Artemisia épousera Ciro, qui recouvrera la raison, tandis que Nino la perdra et que Trespolo obtiendra la main de la cynique Despina, fille de Simona. « L’amour peut être remède ou poison », résume Ciro dans l’air final : Stradella s’est emparé de cette farce cruelle avec gourmandise, faisant couler à foison ses mélodies épicées et nerveuses, merveilleusement rendues par la poigne d’Andrea de Carlo, dont on entend qu’il est passé par le jazz. Au début, cette direction très théâtrale nous gêne par son volontarisme (même les récits sont dirigés), mais, au fil de l’œuvre, elle convainc par son sens des pulsations, des couleurs, des contrastes. Neuf instrumentistes seulement pour servir cette vaste partition, mais ils semblent plus nombreux : si les deux violons, râpeux, ne nous convainquent guère, viole, violoncelle, harpe et orgue parviennent à créer de magnifiques climats (dommage que la prise de son place le clavecin trop en avant).
Comme les instrumentistes, les chanteurs sont fraîchement issus des conservatoires polonais ; les voix sont donc plutôt petites, manquant toutes un peu d’assise dans le grave : c’est particulièrement vrai du baryton tenant le rôle-titre – âgé de vingt-deux ans, lors de la captation ! Mais les deux principales sopranos (Tuzińska et Pikuła) phrasent, colorent et vocalisent à ravir, tandis que le contre-ténor Tomkiewicz s’affirme comme le meilleur élément de la distribution, bouleversant dans ses deux longues scènes de folie de l’Acte III. L’une des particularités de l’œuvre est que la musique y passe sans cesse du tragique au comique, jusqu’à superposer les deux (comme lors du lamento d’Artemisia, « Non è Ciro », qui se transforme en duo bouffe avec Trespolo). Paszta a finement rendu ce caractère en la plongeant dans l’univers expressionniste du cirque, mâtiné de commedia dell’arte. Sur une simple piste circulaire, armés de quelques accessoires (une chaise et une corde), vêtus de costumes néo-baroques (fraises, corsets, robes à paniers apparents, perruques, dentelles fluo), maquillés de blanc, magnifiés par des éclairages très dramatiques, les jeunes artistes adoptent, avec un aplomb confondant, une gestuelle à la fois limpide et travaillée, qui tient du mime comme de l’acrobatie et parvient à révéler ou subvertir le moindre affect musical. Des débuts prometteurs, pour les interprètes comme pour l’œuvre qui, depuis, a été reprise (avec quelques chanteurs mieux connus) dans le cadre du Festival Alessandro Stradella de Viterbe. Un regret : les sous-titres ne sont proposés qu’en anglais – ou en polonais…
Olivier Rouvière