DVD Erato 0825646050987. Distr. Warner.
On peut compter sur le Met pour toujours réunir la meilleure distribution possible à l'occasion de l'entrée d'un opéra à son répertoire. C'est le cas avec cette Donna del lago dont le plateau vocal se révèle proche de l'idéal. Dans le rôle-titre qu'elle fréquente maintenant depuis quelques années, Joyce DiDonato - médium charnu, aigus lumineux, virtuosité parfaite - communique à son personnage une véritable épaisseur humaine et au rôle une musicalité superlative. Son rondo final, mélange de jubilation belcantiste et de sensibilité frémissante, est un merveilleux résumé des qualités de son interprétation, pétrie d'une ardente féminité. Si les années ont apporté à la voix solaire de Juan Diego Flórez une certaine largeur et un supplément de virilité et de noblesse qui font de son Giacomo un roi authentique, singulièrement crédible dans la scène finale de la reconnaissance, le chanteur n'a rien perdu de sa souplesse et de son brillant. Le grand air stratosphérique d'Uberto au deuxième acte, pris avec une lenteur sidérante et un phrasé sublime, le prouve abondamment, tout comme son duo avec Elena qui n'a peut-être jamais été chanté avec autant de finesse psychologique. John Osborn n'est peut-être pas exactement le baryténor attendu dans Rodrigo - mais y en a-t-il eu un depuis Chris Merritt ? Toutefois la vaillance inépuisable dont il fait preuve dans son spectaculaire air d'entrée, ajoutée à la splendeur de son registre aigu, fait largement oublier quelques limites dans l'extrême grave de la tessiture. La rencontre au sommet de ces trois protagonistes hors pair porte le trio du deuxième acte à un degré extraordinaire d'intensité. Si l'on ajoute un Malcolm de rêve tant sur le plan du timbre que sur celui de l'expressivité, en la personne de Daniela Barcellona, on comprendra pourquoi cette Donna del lago, dirigée avec un sens de l'équilibre parfait entre recherche dramatique et hédonisme vocal par Michele Mariotti, à la tête d'un orchestre somptueux, s'impose comme une référence et ce, malgré quelques réserves sur le Douglas d'Oren Gradus, à la belle voix de basse chantante mais au style approximatif, ainsi que sur l'Albina très ordinaire d'Olga Makarina.
On pourrait certes faire la fine bouche sur la mise en scène un peu trop littérale de Paul Curran qui flirte souvent avec le kitsch le plus outrancier dans sa volonté de recréer l'Ecosse païenne et sauvage du XVIe siècle avec force tenues barbares, kilts et tartans, un kitsch qu'aggravent certains effets naturalistes un rien décalés. L'invraisemblable scène des bardes, digne d'un film de série B, en est sûrement l'épicentre en termes de laideur, et la palme du ridicule revient à l'accoutrement de la pauvre Daniela Barcellona à qui tout autre qu'elle succomberait à coup sûr. Mais on a connu pire dans le genre - Werner Herzog à La Scala en 1992 et Luca Ronconi en 2001, pour ne citer qu'eux, n'étaient guère plus subtils. La production a au moins le mérite de donner une parfaite lisibilité à l'action et de chercher une certaine vérité dans la direction d'acteurs. Elle se révèle, du reste, nettement plus convaincante au deuxième acte, avec une intelligente actualisation des enjeux du livret sur fond de guerre civile où soudain le préromantisme de la partition semble trouver un écho. La transformation du décor pour le lieto fine, traité dans un esprit de conte de fées, ne manque pas d'humour. On ne peut s'empêcher d'y voir un clin d'œil subtil et bienvenu à Cenerentola, un des grands rôles de Joyce DiDonato. Au final, l'ensemble convainc pleinement et fait délirer le public new-yorkais. Ce que l'aspect visuel met parfois en péril est largement sauvé par une exceptionnelle réussite musicale qui devrait permettre de découvrir la beauté et la richesse de cette magnifique partition souvent encore bien méconnue.
A.C.