Elena Monti (Ipermestra), Emanuela Galli (Linceo), Gaëlle Le Roi (Elisa), Marcel Beekman (Berenice), Sergio Foresti (Danao), Mark Tucker (Arbante), La Sfera armoniosa, dir. Mike Fentross (live, 2006).
Challenge Classics (3 CD). 2h46. Notice en anglais. Distr. New Arts International.

 
Créée à Florence le 16 juin 1658 sur l’ordre du cardinal Jean-Charles de Médicis, frère du grand-duc de Toscane, pour fêter la naissance de Philippe-Prosper, fils de Philippe IV d’Espagne, L’Ipermestra tient une place particulière dans le catalogue de Cavalli, dont témoigne son appellation de festa teatrale. On a longtemps cru qu’elle n’avait été imaginée que pour servir d’écrin à la fête équestre commandée par le cardinal, ce qui expliquait une action fort lâche – et un thème assez sanglant (la fameuse histoire de Danaüs qui, par vengeance, ordonne à ses cinquante filles de tuer leurs époux et cousins lors de leur nuit de noces : toutes obéiront, sauf Hypermnestre…). Il apparaît cependant que Cavalli en avait débuté la composition dès 1654 et que le livret ne fut donc aménagé qu’ensuite pour s’adapter aux nouvelles réjouissances. Quoi qu’il en soit, ce texte de Moniglia s’avère particulièrement prolixe, ce qui a obligé Cavalli à favoriser le récit et les mezz’arie sur les airs et lamentos plus développés. Et contraint aussi les interprètes d’aujourd’hui à trancher dans l’œuvre. Mike Fentross a fait le choix de supprimer toutes les interventions divines (6 rôles de dieux, 3 de serviteurs et une quinzaine de scènes sur 63 passent à la trappe !), de façon à resserrer l’action sur les enjeux humains – au risque de la rendre confuse, et, surtout, de faire paraître la partition plus austère qu’elle n’est (on perd toutes les parties chorales). Notons que William Christie, à Glyndebourne, en 2017, opérait des choix similaires. En revanche, contrairement à Christie, Fentross compense cette simplification par une riche instrumentation (vingt musiciens), dont l’utilisation prête à débat : par exemple, faire systématiquement doubler Danao par la saqueboute nous paraît alourdir le discours, l’instrument paraissant mieux venu lorsqu’il intervient de façon ponctuelle, pour représenter les puissances infernales (I, 12) ; de même l’usage excessif des harpes finit par agacer, tandis qu’au contraire on apprécie les couleurs apportées par les violes à la belle scène initiale de l’Acte II (close sur le ravissant duo « Cosi ferite »). L’enregistrement a été effectué sur le vif  « en une seule prise », précise la notice, ce qui nous vaut quelques inévitables accrocs et applaudissements – et on ne peut s’empêcher de penser que, par exemple, le brillant Marcel Beekman dont, depuis sa Platée, on connaît l’art d’incarner les vieilles érotomanes, aurait fait preuve de plus de sobriété en studio, évitant d’abuser, comme ici, de sons appuyés et ouverts. L’autre ténor, Mark Tucker, ne peut pour sa part dissimuler l’usure et le manque d’éclat de son timbre, dans le rôle du « traître repenti ». Les autres interprètes s’avèrent remarquables : Sergio Foresti campe un Danao tranchant et terrible, bien que capable de sentiments (trop brève aria « Affetti, pietà »), Emanuela Galli, confrontée à une tessiture parfois un peu grave, un Linceo plein d’autorité, et les deux sopranos, qui se chauffent à l’Acte I, atteignent des sommets d’éloquence dans les actes suivants, Elena Monti bouleversant particulièrement lors de son suicide (raté). Une découverte incomplète mais nécessaire.

Olivier Rouvière