Nino Machaidze (Luisa), James Conlon et l'Orchestre du Mozarteum de Salzbourg

Helga Rabl-Stadler avait averti : à Salzbourg, la présomption d’innocence prévaut. Accusé de harcèlement aux États-Unis, Placido Domingo a donc chanté, comme prévu, dans Luisa Miller donné deux fois en concert, très applaudi dès son entrée sur scène – une partie de la salle s’est levée. Le mélomane, lui, aurait regretté son absence : il a encore séduit tout le monde. Certes, il ne sera jamais un vrai baryton et sa voix se reconnaît aussitôt, malgré la fatigue et l’usure du velours. Certes le mordant manque pour la cabalette du premier acte. Mais le cantabile, dans la cavatine, aura séduit par sa tenue et sa beauté, comme il séduira au troisième acte, dans le duo avec Luisa. D’un bout à l’autre, le père est là, dressé devant son maître, attendri devant sa fille, à la fois fier et brisé.

Elle, c’est Nino Machaidze, joli timbre fruité, que flattent les notes piquées de son entrée au premier acte, agiles et précises. Le deuxième, en revanche, la montre un peu légère pour les grands élans dramatiques de « Tu puniscimi » ou de « A brani, a brani o perfido », où il faudrait un médium et un grave plus corsés, mais elle compense cette faiblesse par la beauté des phrasés et la sincérité des accents, avant un dernier acte magnifique de style et d’émotion.

Le Rodolfo de Piotr Beczała rafle néanmoins la mise, le plus fêté au moment des saluts. La voix est à son apogée, timbre aujourd’hui plus sombre mais pas moins mordoré, authentique spinto pour le coup, celui du jeune noble ténébreux – on pense beaucoup à Sándor Kónya. Les éclats de fureur désespérée, au deuxième acte, ne le mettent en rien à la peine. Jamais le chant ne s’y débraille, la ligne y garde cette noblesse qui fait auparavant de « Quando le sere al placido » un moment de grâce par la maîtrise du cantabile.

Le trio plaçait la barre très haut : les autres sont tout près d’eux. Yulia Matochkina, voix à la chair généreuse, donne à Federica un relief inaccoutumé. Roberto Tagliavini conjugue l’autorité et la noblesse du Comte Walter, par la double vertu de la voix, une vraie basse verdienne, au grave bien assis, et d’un phrasé de classe. L’ignoble Wurm de John Relyea n’est pas en reste, timbre d’une noirceur ténébreuse et chant stylé. Le duo des deux complices, au deuxième acte, jette des étincelles. Et Cecilia Molinari fait exister la paysanne Laura dans ses quelques mesures du troisième acte.

La direction électrique du chef de théâtre James Conlon, qui tire de l’Orchestre du Mozarteum le meilleur de lui-même, met le feu au melodramma tragico, sans oublier son coloris semiseria, nimbant de belles couleurs les passages pastoraux. Le chœur de l’Opéra de Vienne est superbe – on entend rarement, pour la chasse du deuxième acte, un a cappella aussi précis.

C’est le dernier concert du festival, qui le termine en beauté.

Didier van Moere


À lire : notre édition de Luisa Miller : L’Avant-Scène Opéra n° 151

Photos : SF/Marco Borrelli