Piero Pretti (Altidòr), Carmela Remigio (Miranda), Erika Grimaldi (Armilla), Francesca Sassu (Farzana/Coryphée), Anna Maria Chiuri (Canzàde), Francesco Marsiglia (Alditrúf), Marco Filippo Romano (Albrigòr), Roberto de Candia (Pantúl), Fabrizio Paesano (Tartagíl), Fabrizio Beggi (Tògrul), Sebastian Catana (Demogorgòn), Kate Fruchterman (Smeraldina/une Voix), Donato Di Gioia (Badúr/Coryphée), Emilio Marcucci (Héraut/la Voix du magicien Geònca). Orchestre et Chœur du Teatro Regio de Turin, dir. Gianandrea Noseda. Mise en scène : Arturo Cirillo (12 & 14 avril 2018).
DVD Naxos. 2.110631. Distr. Outhere.


Quelques années après L’Amour des trois oranges de Prokofiev, Alfredo Casella puise chez Gozzi le sujet de sa Donna serpente, renouant lui aussi avec l’esprit de l’opera buffa, en quête surtout d’une troisième voie entre les héritiers du maître du Bayreuth – qui s’était déjà emparé du sujet dans ses Fées, et ceux du vérisme. Pour autant, il ne tombe pas dans le « retour » à, dont Stravinsky s’était fait le champion : La donna serpente reste loin de Pulcinella. S’il récuse les méandres du chromatisme, Casella n’est pas vraiment ici néoclassique, refusant un retour béat à la tonalité, occupant une place singulière dans la modernité de l’époque avec son écriture anguleuse, nerveuse et brillante, peu soucieuse de flatter les voix.

Quand une fée épouse un humain, les épreuves commencent - l’Impératrice de La Femme sans ombre en a fait l’expérience. À force de provoquer, sur l’ordre de son père Demogorgòn, son mari Altidòr, Miranda finit par encourir sa malédiction… et par être transformée en serpent. Mais Altidòr tuera les monstres qui la retiennent prisonnière, ils seront réunis et heureux. La production très colorée d’Arturo Cirillo, déjà présentée à Martina Franca, cherche visiblement à retrouver la verve de la commedia dell’arte, dans un décor nu de simples modules géométriques. Elle privilégie néanmoins le mouvement plus que la direction d’acteurs proprement dite, avec une chorégraphie beaucoup trop répétitive de Riccardo Olivier.

Mais on est emporté par la baguette virevoltante de Gianandrea Noseda, qui pousse l’orchestre et le chœur turinois dans leurs derniers retranchements – ébouriffante Sinfonia à la fin du Prologue, marche rutilante et sauvage digne de celle de L’Amour des trois oranges au troisième acte. Arêtes vives, rythmes acérés, le chef se situe bien dans l’esprit d’une certaine Nouvelle objectivité. Les voix doivent souvent se mouvoir à travers d’inconfortables tessitures. Cela ne gêne pas le bel Altidòr de Piero Pretti, dont le passage garde heureusement toute sa souplesse, ni les voix de basse bien timbrées de Sebastian Catana en Demogorgòn ou Fabrizio Beggi en Tògrul. Mais Carmela Remigio est un peu à la peine, soprano à la légèreté un peu acide et fatiguée, affublée d’une robe de soirée quand elle devient serpent – moins acide cependant que la Farzana de Francesca Sassu. Sinon, le plateau se tient fort bien, avec l’Armilla guerrière d’Erika Grimaldi.

La donna serpente a sa place parmi les expérimentations musicales des années 1920. Comme l’ensemble de l’œuvre de Casella, dont les sympathies fascistes lui aliénèrent la postérité.


Didier van Moere