Mariusz Godlewski (baryton), Radosław Kurek (piano) (live Varsovie, 11-13 septembre 2017).
Institut Chopin NIFCCD 112. Présentation et textes en polonais et en anglais. Distr. Institut Chopin.


Dans une Pologne partagée entre la Russie, l’Autriche et l’Allemagne, les mélodies de Moniuszko rappellent à chacun ce qu’il est. Elles lui parlent de l’amour, conquérant ou perdu, des rivières et des oiseaux, de la guerre meurtrière. De Jan Kochanowski, étoile de la Renaissance, à des contemporains comme Adam Asnyk en passant par le chantre du romantisme Adam Mickiewicz, elles illustrent une langue que les Russes, qui occupent les quatre cinquièmes du territoire de l’ancienne République des deux nations, voudraient bien faire oublier. Quand il présente son Śpiewnik domowy [Chansonnier pour la maison] en 1842, Moniuszko rappelle que sa musique s’adresse à des hommes « qui sont nés et ont grandi sur une même terre », afin qu’ils y retrouvent « l’écho de leurs souvenirs d’enfance ».   

Avant d’être populaire par ses opéras, Moniuszko le fut par ces mélodies, dont certaines devinrent vite très célèbres. Plus de trois cents au total, regroupées en douze tomes – certains paraîtront après sa mort. Elles ont leur place dans l’histoire du genre, qui n’y a vu souvent que des bluettes nostalgiques d’une patrie perdue. C’est oublier que Moniuszko écrit remarquablement pour la voix et qu’il sait, à travers chaque poème, restituer une atmosphère, rejoignant parfois Schubert ou Schumann.  La magnifique anthologie de Mariusz Godlewski nous le rappelle, qui a choisi vingt-neuf mélodies montrant la variété de l’inspiration de Moniuszko.

Dès le « Tren X » de Kochanowski, où le poète pleure la mort de sa fille, la voix révèle le velours de son timbre, l’aisance de son aigu, déploie une ligne raffinée et des nuances délicates, sans outrance dans l’expression. Une douceur sensuelle nimbe la déclaration qu’est « Rozmowa » [Conversation]. Mais l’humour de « Kum i Kuma » n'échappe pas au chanteur, ni celui, même s’il pourrait ici aller plus loin, de « Dziad i Baba », où il campe le grand-père et la grand-mère peu pressés d’accueillir la mort qui frappe à leur porte. À l’opposé, fidèle à la sobriété désolée de Moniuszko, le baryton fait de la « Piosnka bez tytulu » [Chansonnette sans titre], parodie funèbre du « Connais-tu le pays » de Goethe, un pendant des Lieder les plus dépouillés du Voyage d’hiver schubertien : ce pays-là « triste pays, pauvre pays », n’est qu’un champ couvert d’ossements. Mais il caracole comme le héros du « Cracovien » sur son cheval de parade, tout fier de son amour. À l’unisson, le bel accompagnement de Radosław Kurek sur un Érard de 1838 nous ramène dans ces maisons où le Śpiewnik partait du cœur et allait au cœur.  

Didier van Moere