Antonio Poli (il Conte di Almaviva), Asude Karayavuz (la Contessa), Rosa Feola (Inez), Annalisa Stroppa (Cherubino), Mario Cassi (Figaro), Eleonora Buratto (Susanna), Anicio Zorzi Giustiniani (Torribio/Don Alvaro), Omar Montanari (Plagio). Chœur Philharmonia de Vienne, Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, dir. Riccardo Muti (live, Ravenne 2011).
CD Ducale 045-47. Distr. Harmonia Mundi.

L'ombre du Rossini bouffe, singulièrement celui du Barbier de Séville, ne cesse de se profiler à l'arrière-plan de cet opéra de Mercadante créé à Madrid en 1826, au tout début de son séjour espagnol. Que ce soit la coupe des airs, le style vocal ou l'usage du crescendo dans les finales d'acte, tout nous révèle un héritier du langage du compositeur mais si parfaitement assimilé que jamais Mercadante ne donne l'impression de l'imiter. La vivacité d'une invention mélodique toujours pleine de surprise, associée à une orchestration très originale et une personnalité musicale évidente ne sont jamais oblitérées par son usage du modèle. Le résultat se révèle brillant, naturel et tout à fait réjouissant. Comme dans son Don Chisciotte alle nozze di Camaccio de 1830, mais avec une toute autre finesse, Mercadante utilise des éléments de musique populaire espagnole qu'il intègre avec beaucoup de pertinence à sa partition, renforçant ainsi l'originalité de son œuvre.

Si la musique semble souvent parodier Rossini, c'est clairement les Nozze di Figaro dont le synopsis démarque les situations de façon très savoureuse. Le livret de Felice Romani, écrit originellement pour un opéra de Michele Carafa de 1810 - recréé par Bad Wildbad en 2006 -, est basé sur une pièce française des années 1790 due à Martelly. Elle reprend les personnages de Da Ponte et les plonge quinze ans plus tard dans une nouvelle intrigue. Cherubino, amoureux d'Inez, la fille du couple Almaviva, tente de battre Figaro avec ses propres armes et de contraindre le Comte à lui donner la main de sa fille. Le titre tient au fait que Cherubino s'introduit au château d'Aguas Frescas sous une fausse identité et se fait appeler Figaro. La présence d'un poète - Plagio - en quête d'un sujet de comédie et tentant d'utiliser les démêlés des personnages pour son argument rappelle le procédé du Turco in Italia. Par intermittence, enfin, quelques touches de sentimentalisme et un usage très original du chœur comme interlocuteur des protagonistes ne sont pas sans évoquer les opéras comiques de Donizetti.

Cet enregistrement réalisé au Festival de Ravenne 2011 est un enchantement de tous les instants par la sensation de découverte qu'il procure. Le plateau est dominé par deux étoiles montantes du chant italien : la délicieuse Susanna d'Eleonora Buratto - la véritable prima donna de cet opéra - et le Figaro de Mario Cassi qui a déjà fait ses preuves chez Mozart et Rossini. Le prometteur Comte d'Antonio Poli - un ténor di grazia de la plus belle école - et la charmante Inez de Rosa Feola sont à coup sûr des noms à retenir. Moins convaincant est le Cherubino d'Annalisa Stroppa confrontée à une tessiture un peu trop grave pour elle, notamment dans son grand air que n'aurait pas dédaigné une Cenerentola ; mais la Comtesse d'Asude Karayavuz et l'excelllent Plagio d'Omar Montanari complètent cette distribution pleine de talent. On savait Riccardo Muti intéressé par les répertoires rares. Son travail à la tête de l'Orchestra Giovanile Cherubini, d'une vivacité mercurielle, est pour beaucoup dans la réussite de cette production. Il fait ici véritablement œuvre de pionnier et nous révèle avec toute la verve et le lustre qu'elle exige une œuvre étonnante d'un bout à l'autre.

A.C.