Chen Reiss (Photini/Nydia), Mary Mills (Mary-Ann), Matthias Klink (Hadschi Stavros), Ralf Simon (Bill Harris), Theresa Holzhauser (Gwendolyne), Jörg Schörner (Thomas Barley/Hippolyte Clérinay). Orchestre de la radio de Munich, Chœur de la radio bavaroise, dir. Ulf Schirmer (live, Prinzregententheater, 28 novembre 2010).
CPO 777 680-2 (2 CD). Présentation et synopsis en allemand et en anglais. Distr. DistrArt.
Forts du triomphe que leur adaptation d'Henri Meilhac (L'Attaché d'ambassade, 1861) leur avait valu avec La Veuve joyeuse (1905), Lehár et son librettiste Victor Léon se tournèrent une seconde fois vers un auteur français pour tenter de renouveler un tel succès. Leur choix se porta alors sur Edmond About et son roman Le Roi des montagnes (1857), qui présente les aventures d'un palikare, c'est-à-dire d'un ancien soldat grec ayant combattu les Turcs lors de la guerre d'indépendance. Intitulée Das Fürstenkind (L'Enfant du prince), leur opérette fut créée sans grand succès à Vienne en 1909 avec Louis Treumann, premier interprète de Danilo dans La Veuve joyeuse. Remanié en 1932 sous le titre Der Fürst der Berge, l'ouvrage ne connut pas davantage un destin glorieux, au grand dam du compositeur qui lui vouait une affection particulière.
L'intrigue gravite autour du palikare, Hadschi Stavros, qui, nonobstant son titre de prince de Parnès, dirige une bande de brigands passés maîtres dans l'enlèvement de touristes partis à la découverte de la Grèce. Pour permettre à sa fille Photini d'épouser le commandant américain Bill Harris, Stavros renonce à son amour pour son otage Mary-Ann (fille de son banquier londonien !) et se constitue prisonnier sur le navire de Harris. Préfigurant jusqu'à un certain point le futur prince Sou-Chong du Pays du sourire (1929) qui laisse rentrer en Europe sa bien-aimée Lisa, le héros fait taire ses sentiments personnels. De façon significative, le premier acte se termine par un bel intermezzo qui s'intitule précisément « Résignation ». Sinon, la partition se démarque par son orchestration très étoffée, l'importance du leitmotiv associé au palikare et les vastes dimensions de certaines pages. Ainsi en est-il du finale du premier acte qui, avec ses 23 minutes, est presque aussi long et complexe que le grand duo d'amour de Schön ist die Welt (1930).
Ulf Schirmer et l'Orchestre de la radio de Munich se coulent avec un plaisir manifeste dans cette luxuriance instrumentale et les mélodies au charme envoûtant dont Lehár avait le secret. Grâce à sa voix ductile, son autorité naturelle et ses aigus d'airain, le ténor Matthias Klink incarne un Stavros non seulement convaincant en chef de bandits autoritaire, mais aussi très touchant dans son abnégation envers son enfant. L'autre vedette est Mary Mills, dont la Mary-Ann mérite les plus vifs éloges. Une fois passée sa redoutable entrée en scène, presque comparable aux « Hojotoho ! » de Brünnhilde dans La Walkyrie (!), elle éblouit par son chant suave et toujours nuancé. Avec son timbre fruité, Chen Reiss offre un parfait contraste en Photoni, tandis que Ralf Simon campe un Harris à la fois volontaire et enivré d'amour. Voilà une autre belle réussite pour Ulf Schirmer qui, en plus d'être un des chefs wagnériens les plus doués de sa génération, est devenu au fil des années un spécialiste chevronné de Lehár.
Louis Bilodeau