Kimy Mc Laren (Léonore/Fidélio), Jean-Michel Richer (Florestan), Tomislav Lavoie (Roc), Pascale Beaudin (Marceline), Dominique Côté (Pizare), Keven Geddes (Jacquino), Alexandre Sylvestre (Dom Fernand). Chœur et Orchestre de l’Opéra Lafayette, dir. Ryan Brown ; mise-en-scène : Oriol Tomas (New York, 23 février 2017).
DVD Naxos 2.110591 Notice en anglais. Distr. Outhere.
On se demande, à l’écoute de cette Léonore ou l’amour conjugal de 1798, l’original de plusieurs remakes (Paer, Mayr et Beethoven), si, au-delà du livret de Bouilly dont celui de sa première Léonore est le fidèle reflet, Beethoven connaissait la partition de Pierre Gaveaux. Certes, le geste musical du ténor du Théâtre Feydeau n’a pas l’ampleur de celui du compositeur allemand. Ses airs nous renvoient encore, du moins ceux de Marceline, de Jacquino et de Roc au premier acte, à l’héritage des airs à couplets de l’opéra-comique d’Ancien Régime. Il y manque le célèbre quatuor et le grand air de Léonore est qualifié de romance mais, au-delà des structures imposées par le livret lui-même, les parentés sont frappantes dans l’inspiration musicale. La grande ouverture en trois mouvements tour à tour dramatique, lyrique et chantante, très évocatrice avec son solo de hautbois, le chœur des prisonniers et son introduction orchestrale, le prélude de la scène de la prison avec son récitatif accompagné, le trio du deuxième acte et le duo des retrouvailles, tout cela dénote dans la construction plus élaborée l’influence de l’opéra préromantique et semble comme une prémonition du chef-d’œuvre beethovenien. Toute la partie légère est pleine de charme et le second acte dramatique réussit à captiver et à émouvoir. Surtout, les deux possèdent une homogénéité qui manque au chef-d’œuvre de Beethoven. Si le finale hésite entre vaudeville moral et chœur de célébration dans le style de l’opéra seria, on ne peut nier au compositeur une agréable veine mélodique, de belles intuitions dramatiques et une science de l’orchestration très accomplie.
La réalisation de l’Opéra Lafayette est modeste en termes de moyens scéniques : le décor et les costumes sont réduits à quelques éléments suggestifs mais, alliés à un joli travail sur la lumière, ils suffisent à donner un cadre suggestif à une action bien conduite. La réussite de l’ensemble doit beaucoup à la direction inspirée et toute en nuances de Ryan Brown. À la tête de son orchestre sur instruments d’époque aux vents et aux bois subtilement colorés, il insuffle beaucoup de vie à cette partition aussi célèbre que méconnue, bien servie par une distribution de chanteurs canadiens francophones d’excellent niveau qui évidemment apportent un soin tout particulier aux dialogues parlés. Sans aller jusqu’à parler de révélation, cette production est un apport important à notre connaissance de l’opéra de la période révolutionnaire et dépasse par ses qualités intrinsèques la simple curiosité musicologique. On s’étonne un peu qu’une telle découverte ait dû nous venir de Washington.
Alfred Caron