Gabriele Fontana (Sophie Scholl), Lutz-Michael Harder (Hans Scholl). Ensemble instrumental, dir. Udo Zimmermann (1986).
Orfeo C 162871 A. Distr. DistrArt.

 

Immédiatement après sa création à Hambourg en 1986, Die weisse Rose, « scènes pour deux chanteurs et ensemble instrumental », connut un tel succès qu’une douzaine de productions de l’œuvre furent programmées en à peine deux ans dans plus de trente villes. Le sujet – la résistance munichoise au nazisme, le réseau « la rose blanche » et l’exécution en février 1943 de deux jeunes gens, Sophie et Hans Scholl – a été traité non pas sous son angle politique, mais en prise directe avec le psychisme des deux prisonniers conscients de leur sort. Le montage de textes réalisé par Wolfgang Willaschek et le compositeur (prose et poésie des frère et sœur Scholl, mais aussi de Bonhoeffer, Fühmann, Rózewicz) a, entres autres mérites, celui de laisser percevoir une extrême détresse face à l’injustice d’une situation terrible, sans pour autant verser dans un pathos spectaculaire. Cette sobriété fait mouche, car la dignité des protagonistes condense la force dramaturgique de ces seize scènes.

De toute beauté, la musique tend vers un même impératif de sobriété. Si le compositeur dresdois adopte fréquemment l’alternance entre une forte tension (impacts puissants, déflagrations, interventions instrumentales fauvistes) et des phases bien plus paisibles (mélodies sobres se déployant sur une nappe harmonique ou une note pédale), c’est bien la retenue qui l’emporte.

La soprano Gabriele Fontana et le ténor Lutz-Michael Harder sont en tous points remarquables. Habitant les passages parlés d’une intensité qui tient précisément à leur absence d’emphase, ils trouvent le ton et le timbre juste pour incarner avec une matière vocale organique une écriture d’autant plus émouvante qu’elle est économe de ses moyens, et laisse à découvert de nombreuses séquences a cappella. On appréciera notamment le grave chaleureux de la soprano, l’aigu soyeux du ténor, et la complémentarité tant expressive que vocale de leurs duos.

Le langage rappelle celui de Schönberg lorsqu’il développe une atonalité libre, semble se référer plus précisément par moments au Pierrot lunaire, mais tend parfois vers un lyrisme expressionniste ou une valse grinçante plus typiques de Berg, tandis que les quelques passages martiaux renvoient plutôt à Stravinsky ou Chostakovitch. Dès lors qu’ils prennent une coloration modale, les passages contrapuntiques peuvent aussi faire penser à la musique chambriste de Roussel, même si les séquences en fugato et l’écriture imitative (scène 12) renvoient stylistiquement à Bach.

Bien que cet enregistrement de 1986, dont il s’agit ici de la réédition, ait été réalisé peu après la création, les instrumentistes qui ont été réunis à Munich ne sont pas ceux de Hambourg. On appréciera l’élégance de leurs interventions solistes et la clarté de leur jeu, qu’a manifestement favorisées le compositeur au pupitre. Outre sa valeur désormais historique, cet enregistrement reste un modèle d’adéquation entre la force d’une écriture vocale et son incarnation musicale par les interprètes, à tel point qu’on ne ressent à son écoute aucune véritable frustration liée à l’absence de dimension visuelle.

Pierre Rigaudière