Gisela May (Anna I et Anna II), Peter Schreier (ténor), Hans-Joachim Rotzsch (ténor), Günther Leib (baryton), Hermann Christian Polster (basse). Orchestre symphonique de la Radio de Leipzig, dir. Herbert Kegel (1966).
En supplément : extraits du Berliner Requiem, Happy End, Mahagonny et L'Opéra de quat'sous, Studio-Männerchor et Studio-Orchester, dir. Henry Krtschil (Berliner Requiem) et Heinz Rögner (1965 et 1968).
Brilliant 795126. Présentation en allemand et en anglais. Distr. DistrArt.
Cette réédition des Sept Péchés capitaux (1933) enregistrés à Leipzig en 1966 est l'occasion de (re)découvrir l'immense artiste que fut Gisela May (1924-2016). Rattachée au Berliner Ensemble de 1962 à 1992, elle joua de nombreuses pièces de Bertolt Brecht et s'illustra en particulier dans Mère Courage, où elle succéda à la fameuse Helene Weigel. Elle suivit également les traces de Lotte Lenya, épouse et interprète de Kurt Weill, en tant qu'actrice-chanteuse au pouvoir expressif peu commun. Avec le même soin extrême porté au poids des mots, mais dotée d'une palette de couleurs vocales beaucoup plus riche, elle se révèle absolument prodigieuse, encore plus juste de ton que Doris Bierett, pourtant admirable mais peut-être un peu trop « cantatrice » dans la superbe version de Lothar Zagrosek (1987). Car sans vouloir méjuger des versions réalisées par des chanteuses de la trempe de Julia Migenes (Michael Tilson Thomas, 1988), Brigitte Fassbaender (Cord Garben, 1993), Anne Sofie von Otter (John Eliot Gardiner, 1993), Teresa Stratas (Kent Nagano, 1996) ou Anja Silja (Grzegorz Nowak, 2004), convenons que Weill n'est jamais si bien servi que par une voix de diseuse. Tour à tour sensuelle, incisive, tendre ou colérique, Gisela May est une Anna criante de vérité qui traduit avec une éloquence extraordinaire les différentes étapes de son parcours initiatique sur les routes des États-Unis. C'est une semblable adéquation entre la musique du compositeur et le style de l'interprète que l'on apprécie au plus haut point dans les extraits de Happy End, Mahagonny, L'Opéra de quat'sous et du Berliner Requiem, fort bien accompagnés par le Studio-Orchester de Leipzig. Dans Les Sept Péchés capitaux, Herbert Kegel et l'Orchestre symphonique de la Radio de Leipzig font ressortir toute l'âpre beauté de ce « ballet chanté » d'une facture extrêmement originale. Si l'on ajoute que le splendide quatuor masculin comprend notamment le ténor Peter Schreier (dans une forme éclatante) et que la prise de son est d'une qualité exceptionnelle, on comprendra que cette version se hisse selon nous au sommet de la discographie.
Louis Bilodeau