Alceste : Carmela Remigio (Alceste), Marlin Miller (Admeto), Giorgio Misseri (Evandro), Zuzana Markovà (Ismene), dir. Guillaume Tourniaire, mise en scène : Pier Luigi Pizzi (2015).
Tannhäuser : Paul McNamara (Tannhäuser), Liene Kinča (Elisabeth), Ausrine Stundyte (Vénus), Christoph Pohl (Wolfram), Pavlo Balakin (Hermann), dir. Omer Meir Wellber, mise en scène : Calixto Bieito (2017).
La Flûte enchantée : Antonio Poli (Tamino), Ekaterina Sadovnikova (Pamina), Alex Esposito (Papageno), Goran Jurić (Sarastro), Olga Pudova (la Reine de la nuit), dir. Antonello Manacorda, mise en scène : Damiano Michieletto (2015).
L'Africaine : Gregory Kunde (Vasco de Gama), Veronica Simeoni (Selika), Angelo Veccia (Nelusko), Jessica Pratt (Inès), dir. Emmanuel Villaume, mise en scène : Leo Muscato (2013).
Montparnasse Éditions. 4 DVD. Distr. Montparnasse Éditions.
La Fenice, salle mythique s’il en est, autant que la Scala ou le San Carlo… Rossini, Bellini, Verdi, mais aussi le Stravinsky du Rake’s Progress… Les quatre productions réunies dans ce coffret vont-elles entretenir sa légende ? Rien n’est moins sûr. On aurait certes passé de bons moments à les regarder in situ, mais la pérennisation par le DVD ne s’imposait pas.
L’Alceste de Gluck (2015) illustre l’esthétique de Pier Luigi Pizzi, avec ce hiératisme parfois proche du rituel, figeant les chœurs, ce goût pour les décors monumentaux et la couleur blanche, ce manque d’imagination dans la direction d’acteurs – en un mot, la vision fait défaut. Baguette sûre, ni empesé ni agité, Guillaume Tourniaire dirige des chanteurs honnêtes mais qui ne satisfont pas vraiment. Certes stylée, Carmela Remigio n’est pas la grande voix dramatique, falcon avant l’heure, qu’on attend ici. À l’opposé, Marlin Miller pleure les notes d’Admète comme s’il chantait Cavaradossi. Le seul attrait de cette Alceste réside finalement dans le choix de la version : on a préféré à l’adaptation française de 1776 l’original viennois de 1767, en italien.
De La Flûte enchantée (2015) on retient surtout la direction vive et fluide d’Antonello Manacorda, qui a le sens du théâtre. Mais la production de Damiano Michieletto, malgré une direction d’acteurs qu’on reconnaît bien affûtée, joue sur une modernité artificielle avec cette vilaine salle de classe où Pamina et Tamino deviennent des élèves soumis à la férule de maîtres miteux et amochés – le Récitant est en chaise roulante, alors qu’un Papageno chenu fait le balayeur. Le tableau noir sert de frontière entre la réalité et le rêve, qui s’incarne dans une forêt. Pas de quoi entrer au panthéon des DVD de La Flûte. La distribution est honnête, personne n’y rayonne vraiment, notamment le Papageno peu stylé d’Alex Esposito – mais Ekaterina Sadovnikova chante un bien joli « Ach, ich fühl’s », le Tamino d’Antonio Poli assure et Gora Jurić a les graves de Sarastro.
Le Tannhäuser de Calixto Bieito (2017) nous parle plus de lui-même que de l’opéra de Wagner. Non qu’on lui reproche d’évacuer la religion, la chute et le salut. Le Venusberg peut bien être un jardin, sorte de paradis perdu de l’amour. Mais il réduit tout à la frustration et au refoulement des pulsions les plus animales, avec une Elisabeth mangeant de la terre, un Wolfram fétichiste, tous deux s’adonnant volontiers au plaisir solitaire. On s’interroge aussi sur les rapports entre le Landgrave, un peu gourou de secte, et sa nièce, qu’il abandonne au deuxième acte aux ménestrels déchaînés. Heureusement, la direction d’acteurs conserve assez de force pour faire avaler cette entreprise de déconstruction systématique et parfois artificielle, où se conservent néanmoins certaines références – la flagellation christique de Tannhäuser au deuxième acte, par exemple. Très attaché à la beauté de la pâte sonore, Omer Meir Wellber attend d’arriver au mitan de la partition pour penser au théâtre. La distribution rend justice à l’œuvre, même si on a connu des performances plus anthologiques. L’Elisabeth de Liene Kinča, sans irradier par l’innocence virginale, assume son chemin de croix, avec une belle prière, alors qu’Ausrine Stundyte exerce la fascinante séduction de la déesse de l’amour et que Christoph Pohl, belle voix et beau style, chante un Wolfram de la meilleure école. Paul McNamara incarne un Tannhäuser très vrai et émouvant, pas Heldentenor mais jamais à la peine et toujours châtié, du Venusberg au Retour de Rome, qu’on aimerait certes un peu plus écorché, un peu plus halluciné.
À côté de ces classiques, une œuvre plus rare : L’Africaine de Meyerbeer (2013), réduite à trois heures. L’antithèse de Tannhäuser, par la lisibilité littérale de la mise en scène de Leo Muscato, quitte à ce que la direction d’acteurs frise parfois l’indigence. Mais on aura, sans excès, ce qu’il faut de réalisme dans le cachot de l’Inquisition, de spectaculaire dans l’orage sur le navire de Don Pedro, d’exotisme stylisé dans le temple indien. Le chef-d’œuvre posthume de Meyerbeer n’ayant pas été souvent capté, cette production vénitienne s’ajoute au spectacle de Lotfi Mansouri à San Francisco, avec Shirley Verrett et Placido Domingo, dont Gregory Kunde n’a guère à craindre, sinon pour le timbre - il est en fin de carrière alors que l’Espagnol était à son zénith. L’homogénéité de la tessiture, l’aisance préservée de l’aigu, la pertinence stylistique en font un Vasco proche de l’idéal. Veronica Simeoni campe une très honorable Selika, même si elle n’est pas, là non plus, le grand falcon attendu, rivale de l’Inès de haut lignage qu’incarne Jessica Pratt, aux magnifiques aigus filés. Superbe baryton Verdi, Angelo Veccia a la puissance et le mordant de Nelusko, qu’il sait nuancer, aussi transi que haineux. Les autres font parfois souffrir par ce qu’ils infligent à la langue française. Dommage qu’Emmanuel Villaume, plus fougueux que subtil, ne donne pas dans la dentelle.
Rien d’immortel donc, mais tout est de bonne tenue. On reste pantois, en revanche, devant l’absence de toute présentation : aucune notice, pas de distribution précise, pas de plages pour les DVD. Une honte. Pauvre Fenice !
Didier Van Moere