Anna Bonitatibus (Enrico), Francesco Castoro (Pietro), Sonia Ganassi (Elisa), Levy Sekgapane (Guido), Luca Tittolo (Gilberto), Lorenzo Barbieri (Brunone), Matteo Mezzaro (Nicola), Federica Vitali (Geltrude), Academia Montis Regalis et Coro Donizetti Opera, dir. Alessandro De Marchi, mise en scène : Silvia Paoli (Bergamo, 2018).
Dynamic 37833. Notice et argument en italien et anglais. Distr. Outhere.
Après la courte scène lyrique Il Pigmalione composée en 1816 mais non représentée (un acte, deux personnages, trente minutes de musique), Enrico di Borgogna constitue le début scénique de Donizetti, en novembre 1818, au Teatro San Luca de Venise. Le compositeur a alors 21 ans. Le livret est de Bartolomeo Merelli, comme lui bergamasque et ancien élève de Mayr – c’était le début d’une collaboration qui allait mener d’abord à la farce Una follia, puis à l’opera buffa Le nozze in villa (1821) et à l’opera seria Zoraide di Granata (1822). Le ton est ici au semiserio : l’histoire a des tenants tragiques mais s’éclaire d’un rôle buffo, le bouffon Gilberto. Le berger Pietro a élevé incognito l’héritier du trône de Bourgogne (Enrico) dont le père avait été déposé. Or Guido, fils de l’usurpateur, s’apprête à épouser de force Elisa, dont Enrico était tombé amoureux. Enrico regagnera in extremis et le trône, et sa belle.
L’ouvrage témoigne de l’ambition de Donizetti d’entrer dans la cour des grands. Si l’influence de Rossini est évidente (voire troublante ici ou là, par exemple dans l’ouverture), de même que celle de l’« ancêtre commun » à tous les compositeurs du nord de l’Italie passés par l’enseignement de Mayr ou de Mattei – Mozart –, la patte orchestrale est sûre, déjà fournie de cette énergie solide qui sera la marque du compositeur. On entend d’ailleurs naître de futurs succès de Donizetti : l’air d’entrée d’Enrico ne dessine-t-il pas déjà le « Al dolce guidami » d’Anna Bolena ? La distribution est également typique du temps rossinien : un héros musico (contralto travesti), un ténor stratosphérique pour antagoniste (Guido).
Fêtant le bicentenaire de l’ouvrage, la production du Teatro Sociale de Bergamo bénéficie de la toute récente édition critique d’Anders Wikund et s’avère d’excellente qualité, tant musicale que théâtrale. La metteuse en scène Silvia Paoli prend le parti dramaturgique du métathéâtre et nous replonge dans le temps de la création de l’ouvrage, lequel regarde vers son passé proche : le superbe décor tournant d’Andrea Belli (un petit théâtre à toiles peintes et sa rampe d’éclairage, entourés de coulisses à vue) et les magnifiques costumes de Valeria Donata Bettella sont dignes d’une représentation au Petit Trianon de Marie-Antoinette – mouton (en peluche) inclus. Le procédé est réglé de façon judicieuse, tant dans la versatilité du décor que dans la direction d’acteurs, et sert bien les changements d’esprit de la partition. Musicalement, sous la direction très maîtrisée de De Marchi, qui mène ses troupes à une précision et une justesse de touche remarquables, la distribution n’avoue que peu de faiblesses, et qui ne sont rien en regard de ses qualités cumulées : Enrico généreux et agile d’Anna Bonitatibus (à ses limites graves, tout de même), Pietro aussi touchant que délié de Francesco Castoro, superbe Gilberto (de voix comme de présence) de Luca Tittolo, Guido crâne dans le fiorito (quoique d’une projection réduite) de Levy Sekgapane, Elisa joueuse de Sonia Ganassi, qui s’amuse de la frontière ténue entre premier et second degrés pathétiques, et dont le panache inentamé joue ici à la diva et demie. Seul Brunone paraît un cran en-dessous, un peu faible de soutien.
Il n’y avait à ce jour aucune captation d’Enrico di Borgogna, audio ou vidéo. Cette édition prend d’emblée sa place de référence dans la vidéothèque donizettienne.
C.C.