Photo : Gaëlle Astier-Perret
Après les succès étourdissants qu’il avait obtenus lors des deux premières Expositions universelles avec Les Deux Aveugles (1855) et La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), Offenbach aurait vivement souhaité susciter pareille ferveur auprès du public avec Maître Péronilla. Créée aux Bouffes-Parisiens en mars 1878, l’œuvre n’atteignit toutefois que 50 représentations et quitta l’affiche début mai, au moment même où commençaient à affluer touristes et visiteurs de marque dans les palais du Trocadéro et du Champ-de-Mars. En dépit de quelques pages superbes, dont la fameuse malagueña et un somptueux finale au deuxième acte, le public bouda cet opéra bouffe qui souffre principalement d’une partition quelque peu inégale et d’un livret plutôt mal ficelé que le compositeur écrivit lui-même, aidé de Nuitter et Ferrier pour la versification des textes des airs. Si l’idée voulant que la jeune Manoëla se retrouve doublement mariée le même jour est heureuse, elle donne cependant lieu à une intrigue inutilement longue qui se résout de façon artificielle par la plaidoirie de Péronilla (ancien avocat ayant fait fortune dans le chocolat), dont le sentiment de paternité s’éveille à vrai dire bien tardivement.
Pour défendre cet opéra bouffe donné en version concert, le Palazzetto Bru Zane a fait appel à une très belle équipe de chanteurs dominée par l’éblouissant Frimouskino d’Antoinette Dennefeld. Dans son personnage de jeune clerc, la mezzo se montre ardente, juvénile et pleine de tendresse. Très en voix, elle vole presque la vedette à l’autre rôle travesti, le « vrai mari » et maître de musique Alvarès, pourtant chanté avec beaucoup de sensibilité par Chantal Santon-Jeffery. Tout en retenue, son interprétation pourrait exprimer plus d’assurance triomphante, notamment dans la merveilleuse malagueña. Manoëla, qui a relativement peu à chanter, trouve en Anaïs Constans une interprète idéale de splendeur vocale, tandis que Tassis Christoyannis s’avère très touchant en vieux cousin transi d’amour. Éric Huchet campe un Péronilla truculent à souhait et Véronique Gens prend un plaisir manifeste à jouer Léona, femme vieillissante qui tente de ravir Alvarès à sa nièce. Alternant entre imprécations véhémentes et passages d’un lyrisme convenu, sa « Ballade de la belle Espagnole » demeure néanmoins un brin trop sage. Parmi les personnages secondaires, on remarque notamment Patrick Kabongo (Vélasquez major), Loïc Félix (Vélasquez junior), Yoann Dubruque (Don Henrique) et Jérôme Boutillier (le Corrégidor, Bridoison et Juanito). À la tête de l’Orchestre national de France et du Chœur de Radio France, Markus Poschner propose une lecture énergique et passionnée, mais surdimensionnée et parfois pesante. La musique d’Offenbach réclame davantage de subtilité, en particulier dans les ensembles avec chœur, qui manquent ici de finesse et de légèreté. La qualité des choristes n’est pas en cause, mais plutôt le trop-plein d’enthousiasme du chef qui favorise à l’excès les grandes masses sonores, au détriment de la dimension typiquement opéra-comique. Cela étant, on applaudit sans réserve à la sortie prochaine de cette version d’un ouvrage injustement négligé dans la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane.
Louis Bilodeau