Joyce El-Khoury (Sylvia de Linares), David Junghoon Kim (Leone de Casaldi), Laurent Naouri (Don Gaspar), Vito Priante (Don Fernand d’Aragon), Evgeny Stavinsky (le Moine, le Père supérieur), Royal Opera Chorus & Orch. of the Royal Opera House, dir. Sir Mark Elder (concert, 2018).
Opera Rara ORC58. Notice en anglais ; synopsis en angl., franç., all., ital. ; livret en franç. et angl. Distr. Macbeth Media Relations.
À la suite du grand succès de Lucie de Lammermoor en août 1839, le Théâtre de la Renaissance commande à Donizetti un nouvel « opéra de genre », catégorie d’œuvres lyriques en français qui suppose alors deux actes (et non cinq, comme pour le grand opéra ; l’Ange en aura finalement quatre) et des récitatifs chantés (et non des dialogues parlés, comme pour l’opéra-comique). Il compose alors L’Ange de Nisida (en partie en réutilisant des fragments d’un projet italien resté sans suite, Adelaide), dont le livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz est soumis à la censure en janvier 1840 et qui entre en répétitions le mois suivant. Hélas, la Renaissance fait banqueroute en mai. L’opéra et son livret resteront inédits – à part certaines de ses pages (neuves ou pas) reprises par Donizetti pour sa Favorite (ou ailleurs : le duo du Roi et de Sylvia reparaît dans Maria Padilla, l’air de Gaspar, dans Don Pasquale), qui s’en inspire aussi dramaturgiquement.
L’Ange de Nisida connaît finalement sa création mondiale en juillet 2018, en concert au ROH Covent Garden, grâce au travail patient de la musicologue Candida Mantica, qui a reconstitué la partition d’après ses sources éparses, et du chef Martin Fitzpatrick qui en a orchestré les sections restées à l’état d’ébauche, complété certains récitatifs manquants et réinventé le prélude. Fidèle à sa politique éditoriale, Opera Rara édite aujourd’hui le témoignage de ces concerts dans un coffret aussi riche de contenus qu’à l’habitude – les textes de Roger Parker et Candida Mantica passionneront les anglophones. Les férus de Donizetti reconnaîtront les pages de réemprunt mêlées à d’autres moments neufs au charme certain, inventifs et nuancés d’un ton « semiseria à la française » qui entretient constamment l’intérêt, sans qu’aucune longueur ne vienne faire déborder les proportions.
Ce premier enregistrement mondial force l’admiration – et ce, malgré un couple de protagonistes au timbre trop mat et épais (Sylvia) ou même gris (Leone). Rédhibitoire ? Non pas. Car Joyce El-Khoury et David Junghoon Kim ne manquent ni de panache, ni de style, et – comme l’ensemble du plateau vocal, jusqu’au bout des chœurs – font montre d’une éloquente diction française, châtiée et pénétrée : bonheur rare que cette écoute intégralement compréhensible et « grand teint » ! Sous la parfaite direction d’un Mark Elder rompu à ce répertoire, qui sait rendre tant la puissance dramatique que la légèreté dansante d’une partition qui se situe parfois dans le demi-caractère (voir le rôle de basse bouffe de Gaspar), le Roi digne et sensible de Vito Priante, le Moine profond et d’autorité d’Evgeny Stavinsky, le Gaspar plein de drôlerie hautaine d’un Laurent Naouri qui compense magistralement par son art du mot et de l’intention ce que sa voix a désormais de limites, chœurs et orchestre aux reliefs finement dessinés ou enlevés, tout porte à un Ange de Nisida qui fait une entrée plus que remarquée au catalogue discographique donizettien. À quand une production (et un Avant-Scène Opéra !) ?
Chantal Cazaux