Un petit vent d’hystérie et de dérision souffle sur la mise en scène des Boréades de Barrie Kosky qui fait d’abord craindre pour l’intégrité de l’ultime opéra de Rameau. Dans sa production dépouillée à l’extrême, quasiment toute en noir et blanc, c’est au tempérament même des chanteurs que le metteur en scène a recours pour caractériser ses personnages avec un rien trop de naturalisme. Sur un promontoire qui est aussi la boîte qui les enferme, les isole ou les montre aux yeux du monde, Alphise et Abaris se tourmentent sous le souffle des vents contradictoires de leurs destinées. Ce sont les dieux qui les poussent là où ils veulent : d’abord l’Amour facétieux d’Emmanuelle de Negri qui se cache aussi sous les traits de plusieurs autres personnages secondaires (Sémire, Polymnie, une Nymphe) et, dans les deux premiers actes, mène la danse comme on mène la revue ; ensuite Apollon caché sous les traits de son prêtre Atamas, double rôle dans lequel s’impose la large voix d’Edwin Crossley-Mercer ; enfin le Borée tyrannique de la puissante basse de Christopher Purves et ses avatars - Borilée et Calisis - dont le metteur en scène fait deux « bad boys » violents et sans scrupules. De l’ultime opéra de Rameau, le metteur en scène australien donne une vision inventive mais un peu froide et distancée, sans la sensualité qu’y infusait Robert Carsen dans sa production inoubliable de 2003. On admire la virtuosité de ses grands ensembles mais on n’est guère touché par l’histoire amoureuse.

Remarquablement intégrée, la chorégraphie d’Otto Pichler implique aussi les chanteurs et surtout le chœur, mais on se passerait souvent de ces cris surimposés à la musique. Plutôt moderne, elle joue de plusieurs registres (modern dance, minimalisme, pop), tour à tour illustrative ou expressive, mais toujours assez virtuose et en continuité avec l’action. De presque rien, les lumières de Franck Evin font tout et les images ne cessent de stimuler l’imaginaire du spectateur : la fête nocturne sous les bouquets suspendus, le paysage dévasté et ses oiseaux carbonisés que ramasse Abaris après la tempête et l’enlèvement d’Alphise par Borée, l’apparition, au final, du dieu du jour derrière un rideau de pluie tel un épouvantail faisant tournoyer de nouveau les oiseaux en signe de renaissance.

Du côté vocal, la distribution est un peu desservie par l’acoustique excessivement réverbérée de l’auditorium qui expose la moindre limite : une petite tendance à la surchauffe, habituelle chez l’Abaris de Mathias Vidal par ailleurs remarquablement stylé et sensible ; un rien de raideur chez Hélène Guilmette qui s’efface passé le redoutable air « Un horizon serein » de la fin du premier acte ; un aigu un peu tendu chez le Calisis de Sébastien Droy ; un petit déficit dans le grave chez Yoann Dubruque et un français plutôt approximatif chez Christopher Purves. Mais une fois l’oreille faite ce sont peccadilles au regard de la réussite d’ensemble. Dans la fosse, la direction énergique d’Emmanuelle Haïm fait passer le grand souffle de l’inspiration d’un Rameau profondément renouvelé et maître de son langage, dans ce chef-d’œuvre qui n’est plus tout à fait une tragédie lyrique ni un opéra-ballet mais transcende les genres. Le Concert d’Astrée fait briller de toutes ses couleurs le tissu chatoyant de l’orchestration et le chœur d’une homogénéité superlative s’impose comme un personnage à part entière.

Décidément, Dijon est devenu le haut lieu des grandes réalisations baroques.  Que ceux qui ne pourront pas aller à Dijon ni à la Komische Oper de Berlin, où la production sera reprise, se consolent, elle fera l’objet d’une captation et d’une publication en DVD. L’occasion d’approfondir la lecture d’une production dont le minimalisme n’est que d’apparence et qui sûrement mérite une approche renouvelée.


Alfred Caron



Photos : Gilles Abegg