DVD Opus Arte OA 1117 D. Distr. DistrArtMusic.
Phil Glass était après tout entré dans le monde de l'opéra avec sa « trilogie des portraits », consacrée à des personnages universellement connus pour avoir changé la face du monde (Einstein, Gandhi et Akhénaton). Il fait en quelque sorte un retour aux sources en mettant sur scène Walt Disney, si ce n'est que ce personnage-là, « plus célèbre au Brésil que le Père Noël », a eu davantage de prise sur l'imagerie populaire que sur l'histoire des idées. Fortement démystifié et envisagé sous un jour globalement négatif, dans la lignée du roman de Peter Stephan Jungk dont s'est inspiré le librettiste Rudy Wurlitzer (déjà collaborateur de Glass dans La Colonie pénitentiaire), Disney apparaît ici en 1966, au soir de sa vie et malade. Maints flash-backs viennent nous rappeler ses hauts faits et le représenter dans ses années glorieuses, ce qui nous vaut quelques interpolations didactiques pas toujours discrètes.
Comme en témoigne la présente captation, luxueusement réalisée lors de la création madrilène en 2013, The Perfect American offre au public un spectacle assez bien rythmé et divertissant. En tant qu'œuvre théâtrale, il convainc beaucoup moins, peut-être avant tout parce qu'il manque cruellement d'un personnage à la consistance réellement dramatique, et par conséquent de situations dramatiques. Christopher Purves, dont l'actualité récente a rendu éclatantes les qualités vocales comme scéniques, a beau rayonner sur scène et devenir le point focal de tout l'opéra, il n'a à incarner ici qu'un personnage creux car dépourvu d'enjeu dramaturgique. Tous les autres rôles, caractérisés de façon encore plus simpliste, apparaissent comme les simples exécutants d'un enchaînement de tableaux biographiques finalement assez anecdotiques, et davantage scénographiés - ou plutôt chorégraphiés - que véritablement mis en scène. Hormis les déboires de Disney avec un robot détraqué à l'effigie d'Abraham Lincoln et sa rencontre avec Josh, jeune voisin de lit d'hôpital - scènes qui peuvent respectivement amuser et émouvoir -, en dépit du témoignage à charge de Dantine - figure inventée du dessinateur licencié pour activité syndicaliste, auquel Disney refuse de reconnaître ce qu'il lui doit -, la sauce ne prend décidément pas.
Le volet musical de l'entreprise n'offre guère de compensation : Christopher Purves, atout maître de cette production, est sous-employé par les mélodies étriquées qui lui sont confiées, issues de l'horizontalisation un peu trop systématique d'interminables enchaînements d'accords parfaits. Comme la majorité des rôles, notamment le baryton-basse Pittsinger, autre valeur sure de l'équipage, il est trop sollicité dans le grave de sa tessiture. Le reste de la distribution n'est pas irréprochable : infirmière de Janis Kelly juste correcte, Madame Disney de Marie McLaughlin plus ample - mais son rôle est très restreint. Donald Kaasch campe un William Dantine poussif, moins pourtant que la secrétaire incarnée par Beatriz de Gálvez. Rosie Lomas, cantonnée dans les rôles d'enfants, est quant à elle condamnée à travestir sa voix, au demeurant agréable. Les chœurs, tout comme les ensembles, exclusivement homophoniques, n'offrent comme alternative à l'unisson que les harmonies parallèles. Pour couronner le tout, l'orchestre du Teatro Real n'est pas toujours impeccable. À sa décharge, l'orchestration approximative et particulièrement ingrate est difficile à faire sonner. Les rares passages où l'on échappe aux arpèges sont eux aussi orchestrés et harmonisés de façon très gauche. Que l'iconoclasme rafraîchissant de Einstein on the Beach paraît loin...
P.R.