Klaus Florian Vogt (le Prince), Camilla Nylund (Rusalka)
Rusalka, avant-dernier des dix opéras de Dvořák (et sans doute le plus connu) retrouve cette saison les planches de l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Robert Carsen, créée en 2002 et reprise plusieurs fois déjà (en 2005 et en 2015).
Le conte lyrique du compositeur tchèque s’ouvre sur un trio d'ondines qui rappellent nécessairement celles de L’Or du Rhin de Wagner. Joueuses, aguicheuses, elles batifolent dans un décor figurant le fond de l’eau, tandis qu’à la surface se reflète une chambre inaccessible, symbole du monde des hommes. Baignant dans une belle et sereine lumière bleue (lumières de Robert Carsen et Peter van Praet), ce début semblait prometteur. Mais la suite de la mise en scène ne sera malheureusement pas à la hauteur. Le jeu de symétrie qui irrigue toute l’œuvre, tantôt horizontal tantôt vertical, est pourtant intéressant. Le reflet du lit dans l’acte I devient jeu de miroir entre les chambres dans l’acte II : prisonnière d’un côté, Rusalka ne peut que contempler, impuissante et muette, son Prince s’éprendre d’une autre. Certaines scènes, réglées au cordeau, sont présentées en parallèle de chaque côté du miroir, rigoureusement identiques (jusqu’aux figurants mimant en play-back les chanteurs). Pourtant, il reste comme une sensation d’inachevé. Dans ces décors (de Michael Levine, qui signe également les costumes), les personnages semblent ne pas trouver leur place : trop statiques ou au contraire mobiles à l’excès, ils essaient tant bien que mal de se sortir de cette mise en scène un peu trop superficielle où rien ne leur est proposé. Ainsi en est-il de Ježibaba qui, dans l’acte I, joue avec son couteau pendant la tirade de l’héroïne pour tenter de se donner un peu de contenance. Peine perdue : les interprètes, manquant de direction, livrés à eux-mêmes, nous offrent un jeu malheureusement peu convaincant la plupart du temps.
Tout aussi inachevée est la scène de transformation de Rusalka en humaine : occasion manquée de créer une atmosphère mystérieuse et inquiétante, il ne s’y passe absolument rien, Rusalka tournant ostensiblement le dos au public, le tout sur un plateau noir que seul vient éclairer un puits de lumière crue sur les deux protagonistes. Carsen aura préféré faire de l’esbroufe juste avant avec un effet pyrotechnique inutile (et qui aura sûrement roussi les sourcils d’une partie du premier rang), au moment de l’entrée en scène de Ježibaba.
Le ballet de l’acte II est peut-être le moment le plus dynamique de la représentation. Malheureusement, la chorégraphie de Philippe Giraudeau frôle le ridicule et semble hors de propos : à l’étroit dans le peu d’espace que leur laissent les chambres, les danseurs évoluent sur la scène dans une sorte d’affrontement entre hommes et femmes qui relève plus de la « psychologie de comptoir » que de la chorégraphie. Enfin, l’acte III est sans doute le plus laid visuellement : une projection mouvante d’eau ondoyante qui finirait presque par donner le mal de mer, un fin rideau translucide un peu grossier pour évoquer le monde de ténèbres dans lequel est plongé l’héroïne, et surtout la chambre en suspension de Ježibaba, à la verticale (et d’un mauvais goût terrible…), qui se met à tourner sans raison aucune.
Heureusement, la distribution vocale est à la hauteur. Les trois principales voix féminines sont toutes irréprochables. Camilla Nylund dans le rôle-titre assure avec brio sa partie et s’empare sans difficulté des dangereux aigus de la partition. On déplore hélas son jeu de scène, très exagéré et peu naturel (ce qui est gênant lorsque, privée de parole et donc de chant dans tout l’acte II, c’est désormais son unique moyen d’expression). Elle ne sera véritablement émouvante que dans le dernier acte, en particulier lors de son duo final avec le Prince. À l’opposé, Karita Mattila est plus à l’aise dans la peau de la princesse étrangère, séductrice et cruelle rivale, de même que la mezzo-soprano Michelle DeYoung qui campe une maléfique et ensorceleuse Ježibaba. Le ténor allemand Klaus Florian Vogt est convaincant dans le rôle du Prince. Habitué du répertoire wagnérien, sa voix très claire colle à la jeunesse de son personnage inconstant, même si elle manque un peu de profondeur. Dans son premier duo avec la princesse étrangère, il se laisse submerger vocalement par sa partenaire. Thomas Johannes Mayer est sûrement celui dont l’interprétation est la plus aboutie : il est parfait dans son rôle d’Esprit du lac, père protecteur inquiet pour sa fille qu’il voit courir à sa perte. Vocalement, le baryton s’impose par sa voix puissante et chaude.
Les seconds rôles ne sont pas en reste. Le trio d’ondines (Andreea Soare, Emanuela Pascu et Élodie Méchain) est excellent : leur première apparition est très homogène (même si la voix de soprano d’Andreea Soare domine légèrement l’ensemble), et chacune aura ensuite l’occasion de se démarquer dans l’acte III. Le duo que forment Tomasz Kumiega (le Garde forestier) et Jeanne Ireland (le Garçon de cuisine) est très touchant et apporte la légèreté nécessaire à l’histoire. Enfin, il faut mentionner Danylo Matviienko (la Voix d’un chasseur) et le chœur de l’Opéra de Paris qui se font entendre depuis les coulisses, de façon un peu trop lointaine et étouffée cependant.
Finalement, on déplorera donc le manque de dynamisme de la mise en scène et surtout l’absence de poésie qui ne fait malheureusement pas justice à la très belle musique de Dvořák. Reste une distribution vocale honorable et bien sûr la direction à la fois énergique et délicate de Susanna Mälkki à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris.
Floriane Goubault
À lire : notre édition de Rusalka : L’Avant-Scène Opéra n° 205
Photos : Guergana Damianova / Opéra national de Paris