DVD Opus Arte OA1123. Distr. DistrArt Music.
Le spectacle sans effet de David McVicar parut pour la première fois le 8 juin 2001 au Snape Maltings d'Aldeburgh. Il ne fit guère couler d'encre, malgré la plastique avantageuse d'un Christopher Maltman testostéroné et une scène de viol explicite - « This production contains scenes of a sexual nature and brief nudity » prévient la jaquette du DVD -, la direction d'acteur en étant si subtile que seule la caméra pouvait en rendre compte. Ainsi le viol justement, où Lucrèce se défend à peine, cède quasiment, assumant son statut de femme et donc de victime. Son suicide par le glaive de Tarquinius confirme encore qu'elle s'est rendue à l'arrêt fatal de ce monde d'hommes où elle ne pouvait être que déchue par le sexe fort. Tout cela est bien vu, très économe, très senti, jusque dans les deux chœurs qui se mêlent à l'action et inspirent les protagonistes du drame - John Mark Ainsley est transcendant pour la pure beauté de la voix comme pour le jeu de scène.
Plus proche de Baker - pour le timbre mais aussi pour la ligne - que de Ferrier, Sarah Connolly atteint ici au sommet de son art, autant dans sa longue attente du retour de Collatinus, où elle évoque la figure de Pénélope - ses suivantes filent - que dans son lamento où l'élégie se tisse au désespoir dans un équilibre savant. Le Tarquinius de Christopher Maltman est plus solaire qu'assoiffé, plus conquérant que violeur, Clive Barley anime Collatinus de son timbre profond - et son pardon à Lucrèce se charge d'un pathos inédit - mais celui qui crève littéralement l'écran, c'est le Junius entre fiel et rage de Leigh Melrose : c'est lui qui incite Tarquinius au viol et tire les ficelles du drame. L'acteur est brillant, chargé d'une aura sexuelle sciante, le chanteur mord dans les mots. Sur toute cette violence prête à imploser Paul Daniel dispose un orchestre objectif, froid, qui commente plutôt qu'il ne participe - un orchestre du côté des deux Chœurs, pour ainsi dire. L'idée était neuve alors ; depuis, bien des chefs ont opté pour ce choix, Oliver Knussen lui-même dans son enregistrement paru chez Virgin. On admire mais sans totalement adhérer, car on garde dans l'oreille la symphonie de timbres émue distillée par le compositeur. Bémol tout personnel qui ne doit pas priver cette parution de sa Révérence.
J.-C.H.