Simon Keenlyside (Eugène Onéguine), Krassimira Stoyanova (Tatiana), Pavol Breslik (Lenski), Elena Maximova (Olga), Diana Montague (Madame Larina), Peter Rose (le Prince Grémine), Christophe Mortagne (Monsieur Triquet). Chœur et Orchestre de Covent Garden, dir. Robin Ticciati, mise en scène : Kasper Holten (Londres, 4.II.2013).
DVD Opus Arte OA 1120 D. Distr. DistrArtMusic.

Il y a le passé tel qu'il est, mais aussi celui qu'on voudrait refaire, ce qu'on a dit et ce qu'on n'a pas pu ou pas voulu dire. Il y a le présent du regret, du remords, qu'on subit plus qu'on ne l'assume. Il y a le rêve, le souvenir, la réalité. Entre ces pôles vagabonde Kasper Holten, comme Eugène et Tatiana, doublés par des danseurs qui incarnent leur jeunesse perdue, qu'ils regardent, qu'ils dirigent parfois. En fond de scène, la forêt, le jardin, la nature, lieu de la rencontre, rougeoyant après la scène de la lettre, balayé par la tempête au moment du duel. Costumes d'époque, mais décor stylisé, avec un palais de Grémine triste comme la mort de Lenski, qu'on croirait presque abandonné. Si Dmitri Tcherniakov à Paris, Andrea Breth à Salzbourg, Stefen Herheim à Amsterdam, Mariusz Treliński à Valence se montraient plus inventifs, le directeur de la maison signe une belle production, dirige les chanteurs avec un métier subtil.

Du métier, Robin Ticciati n'en manque pas non plus, bientôt successeur de Vladimir Jurowski à Glyndebourne : direction d'une élégante souplesse, aux couleurs nuancées, plus portée sur l'intimisme que sur l'effet, au point d'en paraître parfois un peu trop sage même si elle flatte les chanteurs. Ceux-ci forment, dans l'ensemble, une excellente distribution. Simon Keenlyside est plus malheureux que vraiment cynique, coulant avec aisance dans la tessiture du rôle une voix peut-être un rien amatie, aussi stylé que le poète romantique au destin brisé de Pavol Breslik, aigu ductile et timbre velouté. Très Emma Bovary dès le début, Krassimira Stoyanova reste la Tatiana intense et blessée qu'on connaît, vocalement impeccable, un peu mûre malgré tout, mariée à un très noble Peter Rose, dont les graves pourraient avoir plus de profondeur. Autour d'eux, chacun s'identifie à son emploi, de la belle Olga d'Elena Maximova au Monsieur Triquet de Christophe Mortagne - on remarque même le Zaretsky de Jihoon Kim. Il y a plus excitant, mais c'est de la fort belle ouvrage.

D.V.M.