Rosalind Elias (Judith), Jerome Hines (Barbe-Bleue), Orchestre de Philhadelphie, dir. Eugene Ormandy (studio, 20 novembre 1960).
CD Sony. Synopsis trilingue (angl., franç., all.) Distr. Sony.
En 1936, à Budapest, Bartók joue la Rhapsodie pour piano et orchestre sous sa direction. Le chef fera plus tard carrière aux États-Unis, où, comme son compatriote Fritz Reiner, il soutint le compositeur exilé, dont il créa le Troisième Concerto pour piano. Autant dire qu’Eugene Ormandy fut un bartokien de la première heure et que ses enregistrements nous sont précieux, avec cet orchestre de Philadelphie auquel il avait donné des sonorités si capiteuses. Mais c’était un chef symphonique, qui ne parvient pas à créer une tension continue dans le Château de Barbe-Bleue, surtout pour les premières portes, alors qu’il faut ici entretenir un suspense inquiétant. Certains passages n’en sont pas moins orchestralement superbes … et très bartokiens : le début de la Cinquième porte, par exemple, ne sonne pas du tout comme du Strauss et l’on a parfois le sentiment d’anticiper sur les œuvres futures, tel Le Mandarin merveilleux. Bref, une lecture essentiellement plastique, dont le théâtre est trop absent. Judith et Barbe-Bleue ne sont pas mémorables non plus : Rosalind Elias ne donne guère dans la nuance, avec des aigus tirés, Jerome Hines, qu’on peut aimer beaucoup ailleurs, campe un Duc trop gris. Ils chantent pourtant en anglais, hérésie sur laquelle nous ne jetterons pas l’anathème : n’avions-nous pas élu, parmi les versions phares de la discographie, celle de Richard Farnes ? Discographie très riche, notamment en chefs hongrois : un handicap de plus pour Ormandy, déjà souvent sous-estimé.
Didier van Moere