Jean-François Lapointe (Benvenuto Cellini), Joé Bertili (Pagolo), Bernard Richter (Ascanio), Ève-Maud Hubeaux (Scozzone), Jean Teitgen (François Ier), Karina Gauvin (La Duchesse d'Étampes), Clémence Tilquin (Colombe), Mohammed Haidar (un Mendiant), Bastien Combre (D'Estrouville), Maxence Billiemaz (D'Orbec), Raphaël Hardmeyer (Charles Quint), Oivia Doutney (une Ursuline), Chœur de la Haute école de musique de Genève, Chœur du Grand Théâtre de Genève, Orchestre de la Haute école de musique de Genève, dir. Guillaume Tourniaire (enreg. les 24 & 26 novembre 2017 en concert, Grand Théâtre de Genève).
B Records LBM 013. Notice et synopsis bilingues (franç., angl.). Livret bilingue (franç., angl.). Distr. Outhere.
Quelle histoire ! Voilà Cellini à la cour de François Ier, chargé de fondre une statue de Jupiter. Il s’éprend de la jeune Colombe d’Estourville, délaissant du coup la Florentine Scozzone qui brûle pour lui d’un feu irrésistible. Mais son apprenti Ascanio, qu’il aime comme un fils, ne chérit pas moins cette jolie Colombe. Magnanime, le maître s’effacera devant le disciple. Encore faut-il compter avec la maîtresse royale, la redoutable duchesse d’Étampes, très attirée par Ascanio, qui jure de se venger. Mais Scozzone, pourtant alliée à elle, déjouera ses plans en mourant à la place de Colombe, qu’Ascanio épousera par la grâce du monarque. Tout cela pour aller à l’essentiel de l’intrigue du drame de Paul Meurice créé en 1852, intitulé Benvenuto Cellini, d’où le fidèle Louis Gallet a tiré son « poème ». Le sculpteur reste le protagoniste… mais il y avait le Benvenuto de Berlioz : on comprend que ce septième ouvrage lyrique du compositeur de Samson et Dalila s’intitule Ascanio.
C’est du meilleur Saint-Saëns, qui perpétue ici, après Étienne Marcel et Henry VIII, les fastes du grand opéra historique avec son ballet – un grand Divertissement mythologique de douze parties à l’occasion de la rencontre entre François Ier et Charles Quint à Fontainebleau. Mais la fidélité au genre n’exclut pas le principe du leitmotiv – ou plutôt du motif de rappel – et tout se fond dans un flux musical continu. Wagnérisme ? Gardons-nous d’aller si loin, même si, comme toujours à l’époque, certains déploraient chez Saint-Saëns une sulfureuse allégeance au maître de Bayreuth… là où d’autres brocardaient au contraire sa timidité en la matière. Peu importe : Ascanio réalise parfaitement la synthèse entre la tradition française, la nouveauté wagnérienne et les nostalgies archaïsantes, sans le moindre temps mort. Quelques morceaux choisis ? La Chanson de Scozzone, le monologue de Benvenuto « Douce Hébé », le madrigal du roi « Adieu, beauté », le quatuor du quatrième acte…
On ne voit guère, ainsi, passer les trois bonnes heures que dure l’opéra en cinq actes et sept tableaux. À Genève, Guillaume Tourniaire, à qui nous devons le seul enregistrement d’Hélène, n’a en effet pas voulu maintenir les coupures d’usage, allant parfois jusqu’à des scènes entières, que l’œuvre subit dès sa création à Garnier en 1890 et que Saint-Saëns n’approuva jamais – la « partition chant et piano réduite par l’auteur » n’est pas complète non plus. Nous entendons la version du manuscrit autographe de 1888. La direction, si elle accuse parfois quelques baisses de tension, séduit par sa précision, son énergie et ses couleurs – mention spéciale à l’orchestre et au chœur, renforcé par celui du Grand Théâtre, des jeunes de la Haute école de musique. La distribution fait honneur au style français : Cellini pétri de générosité de Jean-François Lapointe, auquel on reprochera seulement de manquer parfois d’un peu de mordant, Ascanio souple et sensible de Bernard Richter, Roi plein de noblesse de Jean Teitgen. Le trio féminin, en revanche, s’avère moins équilibré : Clémence Tilquin a la fraîcheur – certes un peu neutre - de Colombe, Ève-Maud Hubeaux, surtout, est bien le mezzo profond de Scozzone, mais Karina Gauvain, souvent à la peine dans l’aigu, ne correspond pas vraiment au « soprano dramatique » exigé par la vindicative Duchesse – Saint-Saëns tenait beaucoup à la différenciation des tessitures. Si vous n’avez pas assisté au concert genevois, découvrez Ascanio. Ensuite, pour prolonger l’écoute, cherchez la chanson de Scozzone par Meryanne Héglon ou Régine Crespin, « Enfants, je ne vous en veux pas » par Marcel Journet…
Didier Van Moere.