Sonya Yoncheva (Iolanta), Arnold Rutkowski (Vaudémont), Alexander Tsymbalyuk (Le Roi René), Andrei Jilihovschi (Robert), Vito Priante (Ibn-Hakia), Elena Zaremba (Marta), Roman Shulakov (Alméric), Gennady Bezzubenkov (Bertrand), Anna Patalong (Brigitta), Paola Gardina (Laura).
Marion Barbeau (Marie), Stéphane Bullion (Vaudémont), Nicolas Paul (Drosselmeyer), Aurélien Houette (Le Père), Alice Renavand (La Mère), Takeru Coste (Robert), Caroline Bance (La Sœur).
Orchestre, Chœur et Corps de ballet de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, dir. Alain Altinoglu (mars 2016), mise en scène Dmitri Tcherniakov, chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui, Édouard Lock et Arthur Pita.
BelAir classiques. Notice et argument en anglais, français et allemand. Distr. Outhere.
Retour aux sources : comme à la création en 1892, Iolanta est donné avec Casse-Noisette. Encore fallait-il trouver le lien. Dmitri Tcherniakov l’a fait à Garnier (voir le compte rendu de la production), en imaginant que l’opéra est le cadeau d’anniversaire offert à Marie, la petite héroïne du ballet. Rien d’étonnant, du coup, s’il se déroule dans un salon, sans doute à l’époque de la première. Veillée par des infirmières, la jeune aveugle Iolanta semble travaillée par on ne sait quels fantasmes et l’histoire, affranchie des naïvetés de la légende, se mue en un drame douloureux, dénoué, lorsqu’elle recouvre la vue, par un Ibn-Hakia peut-être moins médecin que psychothérapeute. Direction d’acteurs tendue à l’extrême comme toujours chez Tcherniakov : ce qu’il fait de Iolanta est assez extraordinaire, imposant à une Sonya Yoncheva vocalement superbe, un rien trop mûre néanmoins, un jeu névrotiquement torturé, où tout le corps s’exprime. Son Vaudémont est un Arnold Rutkowski vaillant, campé sur une voix solide et sonore, qu’on souhaiterait cependant plus nuancé, flanqué du Robert tout feu tout flamme d’Andrei Jilihovschi. Alexander Tsymbalyuk a la noblesse inquiète du roi, mais pas la profondeur de ses graves. On a connu, en revanche, plus de présence à Vito Priante, assez pâle Ibn-Hakia. À leurs côtés, deux anciens fidèles au poste : la Martha d’Elena Zaremba, le Bertrand de Gennady Bezzubenkov.
Trois chorégraphes se partagent ensuite Casse-Noisette. C’est d’abord la fête d’anniversaire, des décennies plus tard, où l’on offre à Marie un enregistrement du ballet. Arthur Pita y lorgne vers la comédie musicale tout en détournant le ballet classique, alors que s’instaure avec Iolanta un intéressant jeu de miroirs : les parents réapparaissent, Ibn-Hakia se réincarne en Drosselmeyer. Puis un cataclysme éclate et le fantastique s’installe – le fantasmatique aussi. Aussi tourmentée que Iolanta dont elle devient le double, Marie erre à travers la pénombre du champ de ruines qu’est désormais la « forêt de sapins en hiver », entourée d’inquiétantes ombres noires, à la recherche de Vaudémont : Sidi Larbi Cherkaoui a pris le relais. Le début du second acte est confié à Édouard Lock : à l’univers de fin du monde qu’est devenu le « Palais enchanté de Confiturembourg » succède un « Divertissement » de poupées géantes plein d’humour et de clins d’œil – impayables cosmonautes soviétiques pour le Trepak, irrésistibles pingouins pour les mirlitons… Précipitée par l’explosion d’une météorite, la fin du ballet revient à Sidi Larbi Cherkaoui, où Marie croit retrouver Vaudémont – récupération des codes de la chorégraphie classique, notamment ceux du « Pas de deux ». La « Valse finale et apothéose » met un terme au conte initiatique, à la plongée dans l’inconnu redouté et désiré : retour à la réalité de la maison. Les danseurs sont magnifiques, à commencer par Marion Barbeau en Marie, formidable.
Tout cela vaudrait la suprême récompense, si Alain Altinoglu se montrait moins inégal et plus raffiné. Si elle ménage de très beaux moments, la direction accuse parfois des chutes de tension, des lourdeurs aussi – Iolanta met du temps à décoller.
Didier Van Moere.