Andrea Núñez (Woglinde), Carolyn Sproule (Flosshilde), Florence Bourget (Wellgunde) et Nathan Berg (Alberich).

Après son splendide Vaisseau fantôme de 2012, l'Opéra de Montréal a eu l'heureuse idée de revenir à Wagner avec une production de L'Or du Rhin, d'abord créée au Minnesota Opera en novembre 2016. Une nouvelle fois, la compagnie prouve avec éclat qu'elle sait parfaitement rendre justice à un compositeur qui a attiré un public nombreux et manifestement ravi. Responsable de la mise en scène et des décors, Brian Staubenfiel a conçu un spectacle original, coloré et très vivant, qui recourt abondamment aux projections et technologies interactives. L'orchestre est sur la scène, libérant ainsi la fosse où évoluent les filles du Rhin et les Nibelungen, tandis qu'une passerelle au-dessus des musiciens est réservée aux divinités. Avec la scène, où se retrouvent à la fois certains dieux, les gnomes, Erda et les géants, ce sont donc trois niveaux de jeu dont disposent les chanteurs, qui traversent même parfois les rangs des musiciens. Ne s'adressant jamais directement aux dieux, Fasolt et Fafner communiquent au moyen d'une caméra qui les fait apparaître sur un vaste écran côté jardin de façon assez terrifiante : sur le fond noir, seuls apparaissent en blanc les traits surdimensionnés de leurs visages et le contour de leurs mains gigantesques. Les projections de David Murakami nous transportent quant à elles aussi bien au fond du Rhin que dans les profondeurs du Nibelheim ou les cimes montagneuses dominées par le Walhalla. Particulièrement réussis nous semblent le tournoiement des nuages précédant l'orage provoqué par Donner et l'entrée au château, long zoom nous rapprochant peu à peu de la porte majestueuse et démesurée qui s'ouvre sur un fond blanc lumineux.

Sans atteindre à la magnificence de son Parsifal dirigé par Yannick Nézet-Séguin au Festival de Lanaudière en 2017, l'Orchestre Métropolitain propose une superbe lecture de la partition. Le chef Michael Christie manque peut-être parfois un peu de nerf ou de subtilité, mais il sait bien faire progresser le discours musical. Au sein d'une distribution de grande qualité, quelques noms s'imposent avec évidence. On retient d'abord Nathan Berg, déjà présent au Minnesota Opera en 2016 et dont les formidables moyens vocaux et dramatiques font merveille en Alberich. Si les deux géants sont dotés de voix sonores à souhait, le Fafner de Soloman Howard l'emporte sur le Fasolt de Julian Close par la somptuosité d'une voix particulièrement opulente. Aidan Ferguson est une solide Fricka, Caroline Bleau une Freia un peu légère de timbre mais très convaincante dans l'expression de sa détresse, et Catherine Daniel une Erda dont la belle couleur vocale fait excuser le vibrato un peu envahissant. Fines musiciennes et merveilleuses de complicité, Andrea Núñez, Florence Bourget et Carolyn Sproule sont des filles du Rhin d'une extrême séduction. Également remarquables se révèlent le Mime de David Cangelosi, le Donner de Gregory Dahl et, à un moindre degré, le Loge de Roger Honeywell, à la justesse parfois douteuse et au timbre un peu trop mat. Le Froh au chant peu soigné de Steeve Michaud suscite plus de réserve, de même que le Wotan sans grand relief de Ryan McKinny, seule vraie déception de la soirée. L'artiste sait pourtant se montrer réellement inspiré, comme dans le DVD de Parsifal enregistré à Bayreuth en 2016, où il est un Amfortas bouleversant. Ici, la voix ne s'épanouit jamais, la projection s'avère nettement insuffisante et le jeu ne rachète pas un chant presque timoré. Cela étant, cet Or du Rhin constitue néanmoins un des spectacles les plus accomplis des dernières saisons de l'Opéra de Montréal.

Louis Bilodeau.

À lire : notre édition de L'Or du Rhin : L’Avant-Scène Opéra n° 227


Gregory Dahl (Donner), Caroline Bleau (Freia), Steeve Michaud (Froh), Ryan Mckinny (Wotan) et Aidan Ferguson (Fricka).
Photos : Yves Renaud.