Mark Milhofer (Raymond), Andrew Greenan (le baron Lindenberg), Quentin Hayes (Antoni), Alexander Robin Baker (Francesco, valet du baron), Timothy Langston (le Seigneur du domaine), David Horton (Martini, fils d’Antoni), Majella Cullagh (Agnes), Carolyn Dobbin (Madelina), Alessandro Fisher (Theodore, valet de Raymond), Phil Wilcox (Roberto, fils d’Antoni), Valerie Langfield (Ravella), Royal Ballet Sinfonia & Retrospect Opera Chorus, dir. Richard Bonynge (2017).
CD Retrospect Opera RO005. Notice, synopsis et livret intégral en anglais. Distr. Retrospect Opera.
Fondé en 2014, le label Retrospect Opera entend se consacrer au répertoire britannique méconnu. En témoigne ce premier enregistrement intégral du « grand opéra » en trois actes Raymond and Agnes (1855) de l’Anglais Edward Loder (1809-1865), compositeur moins fameux que ses contemporains irlandais Michael Balfe ou Vincent Wallace mais qui prouve ici un sens dramatique et mélodique certain. Le souffle de son ouverture, le charme de ses romances, l’énergie pétillante de son écriture chorale, son intrigue gothique (un prétendu fantôme, un baron somnambule, un faux ermite, une muette !) et labyrinthique (une action préliminaire à plusieurs niveaux, un dénouement en cascade), ses personnages pittoresques (jeunes premiers menacés, valets complices, bandits de grand chemin), son mélange des genres et ses dialogues parlés en font un objet étrange à appréhender pour une oreille et un esprit français, habitués aux tiroirs des catégories lyriques : drame romantique ? mélodrame fantastique ? opéra-comique ? operetta ? Un peu tout cela à la fois.
Pour conjurer un sort ancestral qui pèse sur sa famille, le baron de Lindenberg veut épouser sa pupille Agnès ; or elle aime Raymond – qui est, sans le savoir encore, le fils d’une des victimes du baron… Le livret d’Edward Fitzball (1792-1873) emprunte son couple d’amoureux éponyme au Monk de Lewis (1796), mais son fantôme et son « méchant » à un autre titre célèbre de l’auteur, The Castle Spectre (1797). Surtout, librettiste et compositeur s’inspirent explicitement du Freischütz de Weber, dont le triomphe en 1824 à Londres avait été l’amorce d’une mode irrépressible : l’année même de cette découverte, Fitzball en avait réalisé une adaptation théâtrale ; et peu après, Loder partait étudier en Allemagne auprès de Ferdinand Ries… En restent ici des thèmes littéraires repris en écho (le concours, le loup, la balle fautive) et des atmosphères croisant avec art le fantastique inquiétant et le populaire festif.
Créé à Manchester en 1855, l’ouvrage avait été ensuite repris à Londres et avait fait une belle carrière avant de disparaître lentement des programmations. Son revival en 1966 au Théâtre des Arts de Cambridge avait été remarqué, et c’est ici la baguette experte de Richard Bonynge qui défend désormais la partition. Nonobstant un beau travail d’édition (avec livret intégral et notice musicologique développée), on peut regretter que la distribution vocale ne soit pas aussi irréprochable que l’orchestre et les chœurs ici réunis – eux, parfaitement exacts de ton et de réalisation. En effet, le trio de tête est loin d’être impeccablement adapté à la partition, à ses exigences ou à son temps : seul le charme de la redécouverte et le sentiment d’un exotisme stylistique inusité permettent d’accepter le style très West End de Mark Milhofer (au demeurant fort bien chantant), le timbre trop mature, voire élimé, de Majella Cullagh (improbable en jeune héroïne) et les graillons qui entachent le chant d’Andrew Greenan, souvent en déperdition de soutien (alors que le rôle est lui aussi éminemment opératique, notamment par ses graves profonds). Leur engagement est indéniable, aussi énergique qu’élégant, mais pas au niveau d’une œuvre convaincante et ambitieuse, et d’une édition discographique de très belle qualité. Une première étape précieuse, mais on espère que Retrospect Opera pourra aller encore plus loin dans ses réalisations musicales pour la suite de son catalogue.
Chantal Cazaux.