Jennifer Holloway (Hermosa), Judith van Wanroij (Xaïma), Edgaras Montvidas (Manoël), Tassis Christoyannis (Ben-Saïd), Boris Pinkhasovich (Hadjar), Juliette Mars (Iglésia/Une esclave), Artavazd Sargsyan (L’Alcade/Le Cadi), Jérôme Bouteiller (Le Roi/Un soldat arabe). Chœur de la Radio bavaroise, Orchestre de la Radio de Munich, dir. Hervé Niquet.
CD Palazzetto Bru Zane. Distr. Outhere.
Le tribut de Zamora, ce sont les cent vierges que Cordoue occupée doit livrer au calife, en vertu d’un traité. Une histoire invraisemblable, où la jeune Espagnole Xaïma est arrachée à son fiancé Manoël par le tirage au sort… et enflamme les sens l’ambassadeur du calife, Ben-Saïd. Heureusement, le frère de celui-ci eut un jour la vie sauvée par Manoël et lui apporte son aide. De son côté, la belle finit par être reconnue par sa mère, esclave de Ben-Saïd, une folle qui du coup recouvre sa raison, au point de tuer l’ambassadeur pour en débarrasser sa fille. Elle n’encourt aucun châtiment : le Coran « tient pour saints les fous ». Tout finit donc bien et Ben-Saïd expirant pardonne à celle dont il n’a pu se faire aimer.
Passons donc sur le livret d’Adolphe Ennery et Jules Brésil. Fort d’une expérience théâtrale acquise depuis longtemps, Gounod en a fait une partition qui se tient. Pas de temps mort dans ce dernier opéra, créé avec succès au Palais Garnier en 1881, occasion d’un grand spectacle dont on restait friand depuis les années 1830. Car c’est vers le grand opéra que regarde ce Tribut de Zamora – imposants finales pour les premier et deuxième actes, chœurs divers, ballet... L’œuvre, de surcroît, donnait dans cet orientalisme dont la République se régalait, quatre ans après Le Roi de Lahore et deux ans avant Lakmé. Le Gounod de Faust, de Roméo et Juliette, de Mireille même, se reconnaît aussitôt, souvent à travers de fugaces réminiscences. Est-ce à dire qu’il se survit à lui-même, qu’il montre ici plus de talent que de génie, que nous entendons là son « œuvre la plus faible », comme le pense l’ami Gérard Condé ? Il n’empêche : nous avons marché !
Le Palazzetto Bru Zane a donc eu une idée heureuse en ressuscitant Le Tribut de Zamora, à travers un concert donné en janvier 2018 pour inaugurer l’année du bicentenaire de la naissance de Gounod… à Munich. Fidèle à lui-même, Hervé Niquet montre plus d’énergie que de subtilité, quitte à donner ici ou là dans le pompiérisme, mais a le sens du théâtre – fallait-il cependant couper autant dans le ballet des nations et supprimer le chœur au début du troisième acte ? Xaïma douce ou intraitable, Judith van Wanroij s’est approprié le style français, comme Jennifer Holloway, impressionnante en Hermosa hallucinée, le rôle où triompha Gabrielle Krauss, gardant la main sur ses registres même si l’aigu accuse parfois de fortes tensions : le duo de la reconnaissance, peut-être le clou de la partition, fait son effet. On sait qu’Edgaras Montvidas est désormais chez lui dans le répertoire français : superbe Cavatine de Manoël au quatrième acte. Tassis Christoyannis l’est tout autant, notamment par l’art de la déclamation, mais le velours de sa voix convient mieux à la douceur enamourée de la Romance du troisième acte qu’à la violence vaine qu’il oppose aux refus de Xaïma, où l’on s’attendrait peut-être à un timbre plus sombre et plus mordant. On pourrait citer tous les rôles secondaires, tant ils sont exemplaires – ou impressionnants, tel le Hadjar de Boris Pinkhasovich. L’orchestre de la Radio de Munich joue parfaitement le jeu, comme le magnifique Chœur de la Radio bavaroise – du luxe. Pour faire durer le plaisir, écoutez l’air de Xaïma par Dame Joan.
Didier van Moere