Dans le cadre des Concerts du dimanche matin, une coréalisation Jeanine Roze Production / Théâtre des Champs-Elysées a permis à un public pour partie juvénile de fêter le centenaire de L’Histoire du soldat, mélodrame composé en 1917 mais créé en septembre 1918 à Lausanne et dont la première française avait eu lieu dans les murs mêmes du TCE, six ans plus tard.
Pour servir le texte de Charles Ferdinand Ramuz, la fine fleur de la Comédie-Française était représentée par Didier Sandre (le Lecteur, d’abord un peu emprunté dans sa déclamation rythmée puis joliment joueur), Denis Podalydès (un Soldat pur de tout effet, page blanche pour l’imaginaire de chacun) et Michel Vuillermoz (un Diable plus truculent et coloré). Sous la baguette de Jean-Christophe Gayot (longtemps hautbois solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et désormais chef volontiers tourné vers la musique contemporaine), sept musiciens de l’Orchestre de Paris formaient l’ensemble requis par la partition d’Igor Stravinsky. La précision rythmique prenait au début le pas sur l’architecture dynamique, jusqu’à la seconde partie : le chaloupé des danses entourant l’épisode de la Princesse a paru alors plus libéré, et l’esprit général prendre un nouveau souffle, moins contraint. Il faudrait citer chacun, mais on retient bien sûr le violon enfiévré d’Olivier Charlier et les percussions impérieuses de Gabriel Benlolo (très beau finale).
Concert oblige, si le compositeur avait souhaité à l’origine encadrer le jeu des trois personnages (au Soldat et au Diable s’ajoute normalement une Princesse, rôle dansé) par la musique, d’un côté, et le récitant, de l’autre, ici les musiciens étaient au centre du plateau, flanqués du Soldat et du Diable (à jardin) et du Lecteur (à cour) – dont on aurait rêvé qu’ils soient un peu plus libres de leur lecture. Manquait, dans l’idéal d’une version scénique, non seulement la danse mais aussi une mise en espace plus évocatrice qui aurait permis de mieux goûter les saveurs d’une partition riche en clins d’œil (« Ein feste Burg » pour le baiser du Soldat et de la Princesse !) et en couleurs (paso doble, tango, valse et ragtime), et un livret pas si simple à appréhender – notamment pour le jeune public – tant les niveaux de croisement entre récitant et action (description, didascalie, intervention, etc.) y sont déroutants et étrangers aux codes narratifs habituels, qu’ils soient réalistes ou de fantaisie.
L’Histoire du soldat n’a pas fini de poser plus de questions (formelles, esthétiques, ludiques) qu’elle n’offre de réponses – comme tous les contes, faussement évidents.
Chantal Cazaux
N.B. Harmonia Mundi publie en CD cette version de L'Histoire du soldat (HMM902354).