James Westman (Rigoletto) et Myriam Leblanc (Gilda).
Si les désistements d'artistes sont assurément le cauchemar des directeurs d'opéras, il arrive que des remplacements de dernière minute réservent de très heureuses surprises. On en veut pour preuve la révélation que représente pour le public montréalais l'interprète du duc de Mantoue, René Barbera, appelé à remplacer Rame Lahaj très peu de temps avant la première de ce Rigoletto. Une fois passé un « Questa o quella » où il cherche un peu ses marques, le ténor américain se ressaisit rapidement. Après un resplendissant duo avec Gilda, il offre un admirable « Parmi veder le lagrime » qui se termine par un crescendo exceptionnel, et un « La donna è mobile » d'une belle insolence vocale. Associé principalement au répertoire italien de la première moitié du XIXe siècle, il semble posséder assez de cuivre dans la voix pour oser affronter Samson, Radamès et, qui sait, peut-être même Otello.
Pour sa prise de rôle, James Westman n'offre qu'un pâle portrait du bouffon hugolien, dont le drame devrait nous bouleverser et nous laisse ici presque indifférents. Il n'émeut guère en raison d'une voix pauvre en harmoniques et d'un chant nullement indigne, mais parfois avare en nuances. Il lui faudrait également travailler sa gestuelle pour donner davantage de crédibilité à sa difformité. Soprano au timbre juvénile et au talent prometteur, Myriam Leblanc chante Gilda avec prudence, ne maîtrisant pas encore suffisamment le rôle pour laisser libre cours à l'émotion requise. Une fois passées les premières minutes où elle a tendance à chanter trop haut, les choses se mettent en place, mais son « Caro nome », dans l'ensemble ravissant, est malencontreusement entrecoupé de très longs silences qui rompent la continuité musicale. La Maddalena de Carolyn Sproule est splendide à tous points de vue : aisance scénique, excellente projection et voix magnifiquement timbrée. Vartan Gabrielian laisse aussi une très bonne impression en un Sparafucile à l'allure inquiétante et aux graves abyssaux. Des seconds rôles peu marquants, on retient surtout le comte Ceprano de Brenden Friesen, membre de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal. Homogène et particulièrement éloquent dans l'orage du dernier acte, le chœur éprouve un peu de mal à suivre la battue nerveuse de Carlo Montanaro dans le premier acte. Ce dernier a toutefois raison de mener musiciens et chanteurs à un rythme haletant, qui convient bien au drame de Hugo revisité par Verdi.
Des décors appartenant aux Opéras de Seattle et de San Diego, il y a peu à dire, sinon que la réplique gigantesque de L'Enlèvement de Proserpine du Bernin dans la salle ducale convient fort bien à une cour où se mêlent violence et érotisme. La vie de cette cour souffre cependant de la mise en scène de Michael Cavanagh, peu habile à faire bouger les chanteurs avec naturel. Les moments intimes ne sont pas mieux réussis, alourdis par l’abus de scènes à genoux et de signes de croix à répétition. Pourquoi tant d'allées et venues du duc de Mantoue chez Rigoletto ? Comment le bouffon peut-il se laisser berner par des courtisans qui lui font tenir une échelle ne reposant sur aucun mur ? N'est-il pas excessif que les courtisans, malgré leur hargne, rouent de coups le père réclamant sa fille ? Et que penser de la dernière scène, où Rigoletto s'adresse à un mannequin, tandis que Gilda est déjà dans le ciel, au-dessus du décor… ? Malgré cette mise en scène manifestement bâclée, ce Rigoletto mérite néanmoins notre attention pour le superbe duc de René Barbera et la direction enfiévrée de Carlo Montanaro.
Louis Bilodeau
A lire : notre édition de Rigoletto / L’Avant-Scène Opéra, n° 273
René Barbera (le duc de Mantoue) et Myriam Leblanc (Gilda).
Photos : Yves Renaud.