Paris, Éditions Connaissances et Savoirs, 2013, 150 p., 15 €.

Il s'agit d'un texte qui présente toutes les qualités factuelles de l'essai : sobriété, concision, efficacité. Le ton puisque philosophique, est naturellement à la distanciation. Le goût de la vérité des faits et de la compréhension des textes régit tout cet ouvrage. Ainsi aucun fanatisme wagnérien ne transparaît, à l'avantage, en revanche, d'une remise en cause argumentée de l'aura du compositeur. C'est donc à l'écart des filtres qu'interposent aussi bien l'art de Wagner que la légende, voire la mise en scène, qu'il a lui-même élaborée autour de ses lectures philosophiques, que Dominique Catteau mène son enquête. Le ton parfaitement rigoureux frise parfois quelque chose d'une leçon, l'organisation très cohérente procède un peu, de même, d'une suite de cours ou de conférences, dont la quatrième de couverture affirme avec beaucoup d'autorité qu'il s'agit d'une première : « Il est temps qu'un philosophe de métier vérifie enfin les rapports entre l'œuvre musicale et littéraire de Wagner et les philosophes qu'elle revendique ».

À quel public Dominique Catteau pense-t-il ? Il s'adresse avec beaucoup de pédagogie à un lectorat de mélomanes auquel il convient en toute urgence d'exposer, avec une réelle pratique de l'argumentation, deux choses. Tout d'abord, un condensé des philosophies dont Wagner s'est approchées, ce qui dresse par la même occasion une intéressante chronologie de ses curiosités philosophiques et de son cheminement progressif dans une idée de la pensée allemande, mais aussi de la rencontre de lui-même ; puis une plus brève discussion sur les interprétations, déviances, appropriations, wagnériennes. Cette seconde partie se fonde essentiellement sur les textes biographiques de Wagner lui-même, d'où un sens supplémentaire à percevoir au possessif pluriel dans l'excellent titre de l'ouvrage : Richard Wagner et ses philosophies.

Dominique Catteau combat de ce fait la légitimité des emprunts revendiqués par Wagner lui-même aux philosophes, et parmi ceux-ci plus particulièrement à Schopenhauer. Sans entrer pour autant dans une polémique qui ne l'intéresse nullement, mais simplement en soulignant ce qui est : la légende, bien entretenue notamment en France où la philosophie n'est pas notre terrain le plus familier, se voit ici démystifiée. Wagner n'en sort pas plus sympathique, puisque c'est in fine à une psychologie du mensonge et de l'usurpation que cette lecture renvoie. On pourrait peut-être adresser en reproche à ce travail par ailleurs si bien informé, d'avoir passé sous silence un point de vue de contextualisation qui aurait rappelé que bon nombre des grands artistes romantiques ont, presque sans exception, cherché à se couvrir du manteau philosophique : George Sand, Balzac, Gautier, Liszt...

Comme témoin de l'actualité de notre temps, ce livre emprunte, au moment du bicentenaire de la naissance de Wagner, une voie intéressante, celle qui choisit de déconstruire ce qu'un penseur comme Édouard Schuré avait contribué à bâtir au moment où l'ascendant du maître de Bayreuth, mort en 1883, s'exerçait sur les intellectuels de la fin du siècle avec une puissance si envoûtante qu'elle leur interdisait, en quelque sorte, de le contredire. La critique wagnérienne entrerait-elle dans son âge de raison ?

A.R.