DVD DLM éditions. Distr. DLM Editions.
Créé en juillet 1990 au Festival d’Avignon, filmé quelques mois plus tard à l’Opéra-Comique, cet O.P.A. mia partait avec quelques atouts de poids pour refaire surface près de trois décennies plus tard, parmi lesquels la collaboration avec Enki Bilal et un sujet qui n’a rien perdu de son actualité dans un monde de plus en plus soumis aux puissances de la finance. Mais ces presque trois décennies sont justement le critère qui alimente à peu près tous les handicaps de cette parution. Si le sujet peut encore nous parler, la façon de le traiter, c’est à dire le livret écrit par le compositeur lui-même, fait non seulement son âge, notamment à cause d’un alliage de grandiloquence et de futurisme bon marché – lequel n’est certes pas en soi incongru dans ce contexte graphique de BD – qui est assez loin du Zeitgeist actuel. Les dessins, costumes, décors d’Enki Bilal confèrent certes à cet opéra une personnalité assez forte, mais le même Bilal a entre-temps réalisé Immortel, un film dont la sophistication de l’univers graphique comme de l’imagination futuriste font paraître étriqué cet espace scénique pourtant bien conçu.
Sur les quatre personnages qui peuplent cet espace, deux assument un rôle entièrement parlé. Si cette caractéristique est quant à elle bien en phase avec une tendance aujourd’hui plutôt courante à l’opéra, c’est là encore son traitement qui tend ici à masquer par moments la musique derrière le théâtre. Lui, golden boy (on dirait aujourd’hui « trader ») d’abord très cynique et calculateur, commence à s’humaniser alors que le système se dérègle et que la catastrophe se produit. Il pourra enfin céder à son amour pour Elle, présentatrice des nouvelles télévisées, qui l’y exhortait depuis longtemps. La morale de cet opéra pourrait être formulée elle aussi en des termes financiers : l’amour est une valeur refuge. Dieu de l’argent, Sunny Cash sera quant à lui perturbé dans ses certitudes, son arrogance et sa soumission aveugle au Grand Central par Sphinx, déesse de la vérité. La prestance de Vincent Le Texier lui permet d’incarner avec panache cette figure pleine d’emphase, mais les lignes mélodiques qui lui sont confiées, accidentées et surtout rendues impersonnelles par un style post-dodécaphonique qui paraît aujourd’hui caricatural, limitent l’ampleur musicale qui pourrait être la sienne. De même, le matériau mélodique et harmonique confié aux instruments semble bien terne, d’autant qu’il est orchestré de façon à faire entendre les timbres individuels, et avec eux le contrepoint le cas échéant, manifestement sans souci de fusion orchestrale. Philippe Nahon, que l’on voit favoriser la précision rythmique, ne fait apparemment rien pour arrondir les angles. La voix un peu blanche de la soprano Claudine Le Coz convient plutôt bien à son rôle, mais c’est surtout une vocalité plus directe et plus linéaire qui lui incombe pour les mêmes raisons de cohérence dramaturgique, qui permet les quelques moments de lyrisme plus fluide de cet opéra sinon plutôt accidenté.
Une partie électronique aux effets tranchés ajoute à l’ensemble ce que l’on désignerait aujourd’hui comme un chœur virtuel de femmes, ainsi que des voix individuelles copieusement transformées, des effets de masses et de foules, des annonces boursières ou encore des bulletins d’information. Sa tendance psychédélique sonne rétro, ce qui ne manque du reste pas de charme, et c’est sur ce type d’environnement sonore que tombe le rideau final.
Dans le domaine technique enfin, les caméras vidéo des années 90 ne brillaient pas par leur sensibilité en basse lumière. L’image étant en outre d’une résolution médiocre, on discerne difficilement les détails d’une scène tenue le plus souvent dans la pénombre. En somme, cette parution tardive n’est pas sans intérêt, mais à l’heure où fleurissent en ligne ou sur support BluRay des productions autrement abouties, cet opéra futuro-financier de Denis Levaillant ne réussit pas totalement sa résurrection.
P.R.